Dossier les enfants de Guynemer : un grand élan de solidarité (2e partie)

Le témoignage des enfants des centres Guynemer

Ils ont été rassemblés, avec patience et persévérance, dans l’ouvrage « 3000 enfants réfugiés en Algérie, 1941 à 1945 » par les auteurs Claude-Sandra Raymond et Pierre Anglade.

Claude Rouy

…Je suis donc parti en octobre 1942 dans l’Oranais avec un embarquement à Port-Vendres. J’avais alors neuf ans et demi…

La famille Compère jouissait à Sebdou et même à Tlemcen d’une grande considération. Ma marraine parlait couramment l’arabe et ne dédaignait pas aller voir des familles ou se mêler à des réunions de femmes algériennes. Ma marraine n’était pas en reste dans l’animation de ces rencontres. Mon parrain était entre autre, président de l’association Franco-algérienne Dar-El-Laskri et participait activement à la vie de Sebdou. Durant l’hiver 1945, la vie était devenue très dure en Algérie et particulièrement au village. Par compassion, mon parrain et ma marraine avaient décidé d’organiser une soupe populaire, sur leurs deniers, pour aider une trentaine d’Algériens parmi les plus pauvres de Sebdou. Au bout de quelques semaines, il fallut abandonner cette initiative. Le bouche à oreille de cette aubaine avait si bien fonctionné que le nombre des bénéficiaires avait été multiplié par dix !

La famille Compère a été rapatriée sur Bordeaux en 1962, lorsque le choix fut offert de “la valise ou le cercueil”. Mon parrain qui se croyait sur “sa terre” à Sebdou, n’a pas supporté ce déracinement. Il est mort deux ans plus tard. Le chagrin et la désespérance qui l’avaient envahi sont largement cause de son décès prématuré.

Claude Rossignol née Mercent

… Au moment des faits, j’avais neuf ans et demi. Deux de mes sœurs et moi-même, nous nous sommes retrouvées au Centre Guynemer à Oran pendant huit jours, vers la fin de juin 1942.

Nous étions parties pour six mois, et les Américains ayant débarqué fin novembre 1942, nous n’avons pu rentrer en France. Là se situe un évènement qui me touche encore énormément. Les familles avaient le choix de nous garder ou de nous renvoyer au Centre. Toutes nous ont gardées !

La veille de notre départ, en août 1945, il y eut une grande fête à la mairie, avec en toile de fond beaucoup de larmes et de déchirements, car tous étaient nos seconds parents. Nous avions des tatas, tontons, cousins et cousines…. Je pourrais vous en raconter pendant des pages et, lorsque nous nous revoyons, la langue marche ! Hélas, manquent à l’appel tonton Charlot, tata Jeannette, celle qui était ma grande sœur, Charlotte… J’avais aussi un grand frère Irénée…

Dans ma vie il y a eu avant l’Algérie, pendant l’Algérie et après… C’est du passé très présent encore à ma mémoire. J’avais 12 ans et demi au moment du départ. J’y suis retournée deux fois, en 1949 et en 1955. Je voudrais rendre hommage à ces familles qui ont pris soin de nous comme de leurs propres enfants…

Yvonne Bailli. Lettre à sa Gisèle, sa “cousine d’Algérie”…

… J’ai vécu cinq ans chez ma petite mère et mon petit père Régis. J’étais très heureuse.

Dis bien à cette personne qui cherche à savoir des choses sur les enfants réfugiés que nous étions toutes heureuses à Maoussa et que les familles nous ont gâtées. Le dernier jour de notre séjour, le maire du village, Monsieur Denjean, a fait un bal le dimanche après-midi et nous a donné un billet de 50 Frs à chacune.

Je suis partie le lundi avec dans mes bagages, un grand fromage de chèvre que ma petite mère m’avait préparé, et puis le livret de Caisse d’Epargne avec 4 000 Frs dessus. J’ai tou-jours les lettres de ma petite mère et je pleure chaque fois que je les lis. Je suis trop sensible. De revenir ainsi à Maoussa, dans la maison de mon petit père.

J’ai passé cinq ans de bonheur dans ma famille d’Algérie. J’ai pleuré deux jours et deux nuits quand il m’a fallu partir. Au bout de trente ans, quand je vous ai retrouvés en France, que j’étais heureuse de vous avoir tous !...

J’ai fait ma première communion à Maoussa. Ma petite mère m’avait acheté une aumônière et un livre de messe (que j’ai toujours) et j’avais ma belle robe de communiante. La Croix Rouge nous avait donné un peu d’argent destiné aux familles d’accueil mais nos parents ont tout gardé pour ma sœur Monique et moi…

Jackies Fourquier

… Nous avons fait partie, mon frère et moi, du Centre Guynemer. Nous étions orphelins, à Grasse, chez nos grands-parents depuis le début de la guerre. Nous sommes partis avec le Centre pour une durée de trois ou six mois, en mai 1941.

Nous avons été accueillis dans une famille, M. et Mme Claude Seguin et leur fils Paul, dans une ferme située à Baba-Hassen, à 18 kms d’Alger. Pendant tout notre séjour, ces gens nous ont considérés comme leurs enfants, leurs frères. En accord avec mes grands-parents, ils ont accepté de nous garder plus longtemps et de ce fait, nous n’avons pas pris comme prévu

le Lamoricière pour rentrer en France. Quand nous avons enfin été rapatriés à la fin de la guerre, j’avais 16 ans et mon frère 18 ans. Et tout ce temps, la famille Seguin a subvenu à nos besoins et à notre éducation gratuitement et avec tant de bonté que je suis très vite reparti dans cette famille, jusqu’à mon régiment. Je me suis ensuite établi en Algérie et y ai fondé une famille, jusqu’en juin 1962…

Je salue ceux qui sont à l’origine de cette initiative et tentent de faire connaître ce bel élan de solidarité que les Fran-çais de métropole ont trouvé en Afrique du Nord et regrette de ne pas avoir trouvé cette réciprocité lors de notre installation en France en 1962…

Lucien Duret

…Nous sommes arrivés en Algérie en juin 1941 et conduits dès juillet à la colonie de Chréa puis, en août à la colonie de Cherchel. En septembre, sous la direction de M. Jean Lambert, chef du Centre Guynemer, et de Mme Jeannine Lambert, infirmière, on nous a emmenés à Tiaret (Cette-dernière se trouvait sur le Lamoricière lors de son naufrage mais a été sauvée).

Les gens de Tiaret étaient fort sympathiques et je garde un bon souvenir de plusieurs d’entre eux :

Monsieur Delmas, employé à la SNCFA, le directeur de la coopérative, M. Hernandez qui faisait du commerce de gros, M. Porthé, un négociant en grains qui recevait tous les enfants du Centre dans son château au premier de l’an pour un bon repas et offrait à chacun un cadeau (bien souvent, un portefeuille avec de l’argent dedans). Tous les colons de Tiaret ont pris soin que le Centre Guynemer ne manque jamais de nourriture. Je me souviens d’une personne qui avait mis à notre disposition une petite maison de campagne. Quand nous y allions en fin de semaine, il y avait toujours suspendu dans la cuisine, un jambon cru qui nous attendait.

Je ne remercierai jamais assez M. Paul Pontée, un minotier qui me prêtait son cheval et son char les week-ends, qui m’a fait travailler dans ses bureaux aux grandes vacances. Je me suis fait là de bons amis : le comptable, Mlle Paulette Cabréra, mon vis-à-vis de bureau... Nous allions souvent au cinéma ensemble grâce à sa sœur qui en plus de son travail à la minoterie était gérante d’un cinéma dont le patron, Monsieur Zekri, un israélite, avait été obligé de quitter Tiaret. Il est étonnant de savoir qu’il y avait une “kommandantur” à Tiaret à cette époque. Personnellement, je n’y ai jamais vu d’Allemands, mais il se disait qu’il y avait des réunions “pro-allemandes”…

Je descendais quelques fois à Rovigo où ma famille d’accueil me recevait. Ma tante tenait le domaine, mon oncle était mobilisé et son fils était à l’école navale de Bizerte. Il y avait également beaucoup de soldats anglais logés sur le domaine qui organisaient toujours des fêtes à la fin d’année et auxquelles nous étions conviés. Le Centre organisait aussi des sorties théâtrales où nous jouions des petits rôles, dans les villages des environs….

Mauricette Mani-Atwood   
…Nous avons embarqué mon frère Félix et moi à Marseille puis, arrivé à Alger, nous avons tous les deux été dirigés sur Bordj-Bou-Arréridj (dépt de Constantine). Mon frère a été hébergé chez le chef de gare, M. Santini et sa famille. Ils avaient deux fils. Quant à moi j’ai été la protégée de M. et Mme Richier, chef de dépôt et leur fille Arlette qui habitaient près des Santini. De cette façon, chaque matin avec des petits voisins nous marchions tous ensemble pour aller à l’école en ville. Nous avions toujours quelques sous en poche, nous pouvions acheter des dates sèches qu’un arabe vendait dans un couffin au bord de la route. Un autre vendait des graines de pommes de pin appelées "sgougous". Mon frère et moi, nous avons fait notre communion solennelle ensemble. Mme Richier avait conservé d’Arlette qu’elle a du arranger pour que je puisse la porter. A l’école il y avait un grand tableau du Maréchal Pétain. M. Richier était un de ses fervents admirateurs.
Les Richier ayant du déménager sur Blida, Mauricette a été confiée  à la famille Carcenac à Kouba dans la banlieue d’Alger qui avait une fille et un garçon.
…J’ai été acceptée au collège de Maison Carré. Chaque matin, nous prenions le tramway bondé. Quelquefois, nous le prenions en marche car nous étions en retard. Parfois nous devions rester sur la marche car il n’y avait pas de place à l’intérieur  et nous quittions le tramway alors qu’il était encore en marche. Ah les enfants terribles !!!
…Madame  Carcenac m’a inscrite dans une école professionnelle pour apprendre la sténo et la dactylo. C’est à cette période que ma mère a demandé que nous retournions en France.
…Bien que nous soyons rationnés, M. et Mme  Carcenac ont toujours fait leur possible pour que nous ayons de quoi manger en assez grande quantité. Ils nous ont traités avec affection. J’ai beaucoup aimé mon séjour.
De ce beau pays d’Algérie, je revois toujours M. et Mme  Carcenac aidant les petits arabes à faire leurs devoirs, sans oublier de leur donner quelque chose à manger…

Gilbert Labalette
Enfant du centre Guynemer, fils de prisonnier de guerre, je suis arrivé à Alger en décembre 1941 pour une durée de trois mois. Accompagné au Centre à Alger par MMes Turcan et Es-candell, j’ai été ensuite accueilli par une famille de Pieds-noirs français pour passer les fêtes de Noël 1941 puis pour le jour de l’an 1942. Ils m’ont gardé ensuite pour les deux mois et demi restant. J’allais sur mes douze ans ; ils avaient une fille, Paule, âgée de huit ans et demi. Nous étions comme frère et sœur. J’ai été élevé comme le fils de la famille.
Ils ont fait une demande de trois mois supplémentaires qui a été agréée avec l’accord de ma maman. C’est ainsi que je me suis retrouvé bloqué par le débarquement des alliés. J’ai été expédié à Bouinan, un village de l’Algérois mais un ulcère phagédénique m’a contraint à une hospitalisation de six mois à Alger. Ma famille, M. et Mme Pastour m’a ensuite récupéré. Parti pour trois mois, je suis resté avec eux 24 ans !
Ecole, travail, armée… Ma sœur Paule avait grandi et nos sentiments fraternels aussi. Lorsque j’ai demandé sa main à mon “beau papa“, il en a été vraiment retourné. A ses amis, il annonçait « ma fille se marie. Avec qui ? Avec mon fils… » C’était vraiment ma famille. Nous sommes toujours ensemble et heureux. Cinquante-deux ans de mariage et soixante-sept ans de vie commune !...

Mme Blanès
J’habitais à Saint-Nazaire et le Centre Guynemer a contacté ma mère pour lui proposer de m’envoyer six mois en Algérie afin de me mettre à l’abri des bombardements qui étaient intenses en raison de la base de sous-marin du port.
Je suis partie le 26 avril 1942 vers Paris puis Marseille pour prendre le bateau et arriver enfin à Oran en juin. Un centre d’accueil m’a prise en charge puis envoyée dans une famille à Trumelet, à vingt kms de Tiaret. Cette famille travaillait à la poste et m’a très bien accueillie. J’y ai été très heureuse jusqu’à la fin de la guerre en août 1945.
Je suis retournée définitivement les retrouver en 1953 à El-Biar où ils habitaient. Je me suis mariée là-bas avec une personne d’Alger avec qui j’ai eu trois enfants.

Marie Louise Brunel
Je suis née à La Levade, commune de la Grand’ Combe (Gard). Nous étions cinq enfants, deux garçons et trois filles. Mon père était mineur et il est décédé le 5 juin 1940 ; j’avais douze ans.
…Nous fûmes cinq à partir de La Levade pour Marseille. Une religieuse nous accompagna jusqu’au bateau où nous fûmes pris en charge. A notre arrivée à Alger, nous avons été dirigés vers un centre d’accueil où les familles nous attendaient : Mme Manival et sa fille Geneviève pour moi, Mme Barbier pour mon frère. Cet accueil fut très chaleureux et plein de gentillesse. Nous avons alors pris un autobus jusqu’à la Trappe de Staouëli où j’ai fait la connaissance de M. Manival. Son fils Paul était en pension.
… Dès notre arrivée, les familles nous ont demandé de les appeler parrain et marraine et de les tutoyer. Très vite, je connus tous les habitants du village et me suis fait de nombreux amis. Pendant cette période en Algérie, j’ai vraiment eu une enfance heureuse. J’étais considérée comme le troisième enfant de la famille qui m’a gâtée et choyée. Mon frère et moi, nous sommes rentrés à La Levade en juillet 1942. Notre maman fut très heureuse de notre retour, joie malheureusement courte puisqu’elle décéda prématurément le 15 septembre 1945.
En novembre 1942 eut lieu le débarquement des Américains en Algérie et aucune correspondance ne put alors être échangée pendant une longue période. Dès que le courrier fut rétabli, nous avons repris contact avec nos familles d’Algérie. En 1948, mes parents de cœur m’ont invitée à venir passer des vacances, pour finalement me proposer de rester définitivement avec eux si je le désirais. N’ayant pas en France une situation professionnelle “mirobolante“ (vendeuse dans une grande épicerie), je décidais de rester. J’ai alors repris des cours puis j’ai intégré une compagnie d’assurance, l’Urbaine Seine, dans laquelle j’ai poursuivi ma carrière jusqu’à mon départ en retraite, à Alger puis au siège à Paris.
Mon parrain est décédé en 1983 et ma marraine en 1997. Etant à la retraite, j’ai eu la chance d’avoir pu aider leurs enfants à les soigner jusqu’au bout. Je les vénère tous les deux. Ils étaient bons chrétiens et je sais que de là-haut, ils nous protègent. Nous voyons régulièrement leurs enfants et pour les petits enfants, je suis leur Tata Lou…

Maud Clos
… Je n’avais que neuf ans et demi et ma sœur huit ans et demi en octobre 1941. La vie au Havre était très dure et c’est la mort dans l’âme que nos parents ont accepté la proposition du Centre Georges Guynemer de nous mettre à l’abri, ma sœur et moi, de ce qui se passait au Havre, des dangers, des privations…
Ce voyage était une grande aventure qui, malgré la séparation d’avec toute notre famille, fut belle grâce à la bonté et à la générosité des deux familles qui nous ont accueillies pendant quatre ans. En octobre 1941 donc, nous débarquons à Alger et celle qui devenait “ma marraine” nous conduit à Marengo où nous sommes accueillis à bras ouverts par deux familles différentes, mais dans le même village. Nous passions tous nos dimanches ensemble et avec une autre petite fille du Havre arrivée elle aussi à Marengo. Nous fréquentions la même école et ce rapprochement nous a permis de supporter l’éloignement et le manque de nouvelles de nos parents. Les rares nouvelles arrivaient par la Croix Rouge et avec beaucoup de retard.
Je garde un très bon souvenir de cette période et je resterai éternellement reconnaissante envers cette famille qui a été merveilleuse pour moi. Elle est devenue ma seconde famille. Je me suis mariée en Algérie, à Marengo et pour mes enfants, ils ont été des papy et mamy incomparables. Puisse ce témoignage prouver aux métropolitains que les Pieds-Noirs savaient vibrer et agir généreusement quand leurs compatriotes de métropole souffraient….

Christiane Rouziès
Le 11 juin 1940, les gens fuyaient Le Havre en abandonnant tous leurs biens. Maman devait entrer en maternité et Papa avait été évacué avec son usine… Le Centre Guynemer proposait des séjours en Algérie. Comme Papa avait passé plusieurs mois au Maroc, il accepta pour trois d’entre nous. La plus petite, âgée de sept ans, se faisait une joie de partir avec ses deux grandes sœurs et Maman accepta à contre cœur de nous la confier. La cadette avait dix ans et moi, l’aînée j’ai fêté mon douzième anniversaire sur le bateau…
En arrivant à Alger, nous avons passé une semaine dans le Centre Guynemer, non loin du jardin Marengo. On nous a ensuite accompagnées dans un petit village à 22 kms d’Alger, appelé Birtouta (ce qui veut dire, le puits du mûrier)… Je fus placée chez le charron-forgeron, un couple déjà âgé. La dame avait 71 ans et son mari était un peu plus jeune. Je suis restée chez eux jusqu’à notre retour en juillet 1945… Ma sœur qui avait onze ans au départ d’octobre 1941 est décédée en janvier 1945 d’une méningite cérébrospinale. Elle est partie en quarante-huit heures, à l’hôpital d’El-Kettar à Alger. C’est le Centre Guynemer qui en a informé la gendarmerie d’Harfleur, laquelle est venue prévenir mes parents. Nous étions sept Havrais dans ce petit village et ma jeune sœur et moi avons été parmi les premières à rentrer vu les circonstances et ce retour n’a pas été aussi joyeux qu’il aurait pu être.
En 1946, après une année scolaire, je suis retournée en vacances dans la famille qui m’avait accueillie et en janvier 1950, je me mariais avec le fils de l’épicier du village, Pieds noirs dont les grands-parents paternels étaient de Cahors. Voilà comment une Normande épouse un Pied-noir et comment son cœur se partage entre deux pays. J’ai quatre enfants, les deux aînés Pieds-noirs et les deux cadets Normands !...

Les Guynemer à Mouzaïaville
 

L’aventure vu par les accueillants
José Blasco  

Mes parents, Gaëtan et Joséphine Blasco, étaient des petits laborieux, à la limite de la misère. Lui, était conducteur de poids lourds, elle, faisait des ménages pour boucler les fins de mois. Ils avaient six enfants à élever et vivaient dans un petit appartement, dans le quartier populeux du Hamma, à Alger.
Malgré leur modeste condition, mes parents ont accepté d’accueillir deux frères que l’on ne pouvait humainement pas séparer. Lucien et René Jude, venaient de Valenciennes par l’intermédiaire du Centre Georges Guynemer. Je suis fier de mes parents, de leur abnégation, fier d’être leur fils….

Dans une autre lettre, M. Blasco s’étonne que le devoir de mémoire n’ait pas fonctionné vis-à-vis de tous ces Pieds-noirs, parfois très humbles comme ses parents. On parle souvent des “Justes” qui ont sauvé des juifs et légitimement décorés par l’Etat israélien, on parle de la Suisse qui elle aussi a recueilli nombre d’enfants mis en danger par les bombardements, mais pas un mot sur ces enfants Guynemer et leurs familles d’adoption, plutôt qualifiées de colonialistes brutaux… « L’acte de civisme humanitaire de mes parents, couple d’ouvriers avec six enfants à nourrir, mérite tout autant un devoir de mémoire qu’il faut raviver. Je compte sur vous… ».

Paulette Dupin
Je fis la connaissance de Mauricette, une petite lilloise que sa famille d’accueil rendait au Centre Guynemer et qui devait rentrer chez les sœurs de Ténès en octobre. « A cet âge, en pension chez les soeurs… Ah non ! » s’écria ma mère dont les propres souvenirs de pension remontaient à 1923. Elle courut au Centre dire que si aucune famille ne le faisait, elle hébergerait Mauricette. Ainsi fut fait et nous partageâmes, non sans quelques éclats parfois, en véritables sœurs, notre vie et mon lit de 105 cm de large !
Je n’oublierai jamais ce retour en tramway après que Mauricette eut embarqué vers la France. Maman ne pouvait retenir ses larmes. Debout devant son siège, j’essayais de l’isoler un peu, mais en vain. Un arabe me tapota le bras : « Elle a mouru son fils, ta mère ? » Je lui résumais les faits. Il posa alors amicalement sa main sur le genou de maman en invoquant la bénédiction d’Allah.
Un de mes plus grands bonheurs d’adulte rapatriée reste d’avoir retrouvé la trace de tous mes frères de guerre. « Nous avons eu la chance de rencontrer tes parents, » me disaient-ils. « C’est nous, leurs deux enfants qui avons eu la chance de vous rencontrer et de découvrir la fraternité, bien autre chose que la simple charité » leur rétorquais-je…

Yvon Le Bay  
Mes parents, agriculteurs à La Chiffa, ont hébergé de 1941 à 1945 une petite fille du Havre, Eliane Malot. Elle était la cinquième d’une fratrie de neuf enfants. Son papa était chaudronnier sur les bateaux de la Compagnie du Havre.
Contrairement à quelques autres témoignages, Eliane a toujours gardé le contact avec nous. Elle nous écrivait, envoyait quelques photos. Elle appelait mes parents parrain et marraine. Elle s’est mariée et a eu trois enfants. Au décès de mon père, assassiné en 1956, elle nous a même proposé d’accueillir notre fils âgé de deux ans. Elle aussi nous a toujours dit que cette période avait été une des plus heureuses de son enfance.
Depuis, des liens très affectueux se sont tissés entre nos familles.

Nous rendons aussi un hommage à Claude Sandra Raymond. Cette Oranaise, entrée dans la clandestinité à l’âge de 23 ans, a été la secrétaire du général Edmond Jouhaud qu’elle hébergeait dans son appartement du boulevard Front de Mer où tous deux furent arrêtés le 25 mars 1962. Elle fut incarcérée à la prison de « La Petite Roquette », sous l’inculpation « d’atteinte à la sûreté de l’Etat ». Dès sa sortie, elle s’investit pour la Mémoire de son pays et assurera jusqu’à sa disparition la présidence des « Amitiés oraniennes » qui publient la revue « L’Echo de l’Oranie ». Merci à Pierre Anglade d’avoir poursuivi, après le décès de Claude Sandra-Raymond et avec l’aide des fils de cette dernière, cette recherche de témoignages tombés dans l’oubli. La sélection des 50 témoignages de cet ouvrage, tous très émouvants, a été difficile et a nécessité de nombreuses coupures, aussi nous vous invitons à vous le procurer.

La Rédaction  
Extrait du Mémoire Vive n°67

Photo : les Guynemer à la Souma