La ville de Tunis au cours des siècles jusqu'en 1881

Tunis au XVIIe siècle

Son origine : L'origine du nom a donné lieu à de nombreuses hypothèses. Sans retenir le mot Tarchich de la Bible, c'est au IXe siècle avant JC que le mot de Tounès apparaît, la Table de Peutinger cite Thuné, mais se trompe d'emplacement. Il faut attendre le géographe El Kairouani qui parle de Tounes voulant dire le lieu qui tient compagnie en souvenir d'un moine qui habita sous un olivier isolé, olivier que l'on retrouve dans l'appellation de mosquée El Zitouna. En fait il s'agit d'une petite bourgade d'origine phénicienne, antérieure à Carthage dont le nom est berbère, la racine enes de Tenes, terme final, dérivé de enes signifiant la nuit, puis Tounes voulant signifier le bivouac, le relais, l'étape.

Son histoire : Agathocie en fera le siège en 310 avant JC et les romains s'en empareront lors des guerres puniques en 250 avant JC.Cathédrale de Tunis en 1902

Tunis est située entre deux lacs salés, le Bahira ou Boghaz (celui qui est devant) au nord et le Sedjoumi au sud-ouest. Le Bahira est réuni à la mer par un goulet d'où le nom de la ville de La Goulette située à cet endroit ; sa profondeur ne dépasse pas 1m50. Tunis jouit donc d'un lieu privilégié, protégé par deux lacs au fond d'un large golfe. La ville est étalée sur une colline haute de 52 mètres rappelant un burnous ouvert, elle est entourée de trois collines : Bab Hassen au sud-est (88 mètres), Manouibia à l'ouest (79 mètres) et Belvédère au nord (83 mètres).

Les différentes capitales : La ville a eu plusieurs dénominations : El Hadia, la bien gardée, El Khadra, la verte à cause des oliviers. Son saint protecteur était Sidi Mahrez descendant du premier calife Abou Bakr, il vivait au XIe siècle et releva Tunis dévastée par un agitateur Abou Yazid connu sous le nom de l'homme à l'âne. Kairouan fut la capitale sous la dynastie des Aghlabites, mais le rayonnement de la mosquée El Zitouna entraîna en 894 l'adoption de Tunis comme capitale. Néanmoins sous les Fatimides, Madhia fut choisie comme capitale, à part un court passage sous la dynastie éphémère des Beni Khorassan. Lors de l'invasion du territoire par les tribus hillaliennes envoyées d'Egypte par les Fatimides du Caire contre les usurpateurs Zirides au XIe siècle, Tunis fut épargnée puis devient définitivement la capitale de l'Ifriqya en 1160 avec l'arrivée des Almohades. Ce sera sous la dynastie suivante des Hafsides (1230) branche indépendante des Almohades que la ville se développa et s'enrichit de mosquées et de palais. La Kasbah fut construite en 1231, le canal de la Goulette à Tunis  fut curé, il était resté à l'abandon depuis le premier curage en 637 par Hassen ben Noman. Cette période de longue paix attira de nombreux commerçants chrétiens de Pise, de Gênes ou de Marseille. Ils s'établirent dans un quartier autour de Bab el Bahr dit le quartier franc, dans le même temps les juifs qui servaient d'intermédiaires commerciaux s'établissaient au nord de la Médina, quartier dit de la Hara.

La Medina en 1880L'époque de tolérance : C'est aussi l'époque d'une grande tolérance religieuse, un couvent de dominicains s'y établit, c'est là que le frère Raymond Martin enseigna l'hébreu et l'arabe. Les souverains construisirent des superbes demeures au lieu dit l'Ariana et à Ras Tabia avec des jardins suspendus. A la suite de la croisade de St Louis (1270) un traité permit aux chrétiens de construire des églises et d'y carillonner. Un mur d'enceinte de 11 kms entoura la médina avec sept portes. C'est en 1332 que le philosophe Ibn Khaldoun y naquit où l'on y conservera sa maison. Mais, à partir du XVIe siècle, Tunis va supporter plusieurs invasions des Algériens mettant la ville à sac.   En 1574 les Turques, après avoir pris et repris aux Espagnols le territoire, s'installent à Tunis et font de la Tunisie un pays vassal de la Turquie sous la direction d'un pacha. Elle met fin à la dynastie hafside qui avait accepté le protectorat espagnol et impose la dynastie mouradite qui va peu à peu grignoter les pouvoirs du pacha ; deys puis beys vont diriger à partir de 1654. Tunis compte alors 100000 habitants. Un grand bâtisseur, le bey Hamouda, fait édifier le Dar el Bey et prend le titre de pacha.

Deux faubourgs s'accrochent à la médina :   Bab Souika au nord et Bab Jazira au sud-est, une nouvelle enceinte entoure le tout qui fait 80000 m2, d'autres portes sont construites dont Bab Allouche ou porte des étrangers car une famille italienne apparentée à Omar Othman habite à côté, chaque porte a un bureau d'octroi. Des forts entourent la ville : fort des Andalous, fort Sidi bel Hassen qui jouxte la zaouia de Lalla Manoubia, sainte protectrice, fort de la Rabta et fort Filfil. Mais Tunis reste une ville sale, les égouts coulent en pleine rue, se collectent hors de la ville et se déversent dans le Bahira qui peu à peu s'éloigne de la ville, d'où les noms de la rue de la Sebkra et la rue des Salines.

Les bagnes de Tunis : Il y a cinq bagnes à Tunis peuplés d'une moyenne de 7000 esclaves provenant des razzias en Méditerranée, des corsaires dits barbaresques, hommes, femmes et enfants y vivent ou sont achetés par des particuliers, beaucoup apostasient, devenant libres en se faisant musulman, ce sont les renégats promis en général à de hautes fonctions dans l'armée ou l'administration. Pour les secourir ou les racheter ; un ordre de religieux, les Innitaires, ouvre à Tunis un hôpital, de plus, un bref d'Urbain VIII envoie à Tunis des capucins italiens qui desservent les chapelles des divers consulats européens et un préfet apostolique est nommé le 20 avril 1624. Entre temps, après les capitulations échangées entre François 1er et le Sultan de Constantinople, Henri II nomme à Tunis le premier consul de France, de la Motte d'Ariès, en 1577. Ce ne sera qu'en 1650 que le père Jean le Vacher, un lazariste alors en charge du poste de Consul de France occupera une maison dite fondouk des Français.

Les cimetières étaient disposés autour de la médina : cimetières musulmans en haut de la ville, cimetière catholique, actuellement place de l'Indépendance, cimetière protestant à Bab Carthagène, cimetière israélite au niveau de l'ex avenue Roustan, cimetière orthodoxe au niveau de la place de  Rome.

En 1705, la dynastie husseinite prend le pouvoir, elle le gardera jusqu'en 1956. Le premier bey Hussein est le fils d'un renégat albanais. Un des souverains de cette dynastie, Hamouda Pacha, construira la mosquée Sahab Taba sur le modèle des Invalides à Paris sous la direction de l'ingénieur français Amelot (1812). Le bey habite maintenant le palais du Bardo réaménagé sur un ancien pavillon de chasse. Il vient chaque semaine à Tunis au Dar el Bey pour rendre la justice. On compte 200 mosquées dans la médina. Le gouverneur de la ville est le dey ou douateli, la police municipale est dirigée par un agha, un kahia aide le bey du camp, le successeur au trône, à récolter les impôts. La plupart des ministres sont des mamelouks renégats. Le couvre-feu est quotidien, fixé à 1h.30 avant le coucher du soleil.Entrée du Fondouk des français

Le grand fléau provient des épidémies qui se répètent : épidémies de peste, cinq fois à Tunis au XVIIe siècle. 19999 morts à Tunis lors de l'épidémie de 1818-1819, épidémies de choléra à partir de 1836, 600 morts par jour en 1856, épidémies de fièvre typhoïde à partir de 1871. Ces ravages font que mortalité et naissances s'équilibrent entre 30 à 40 pour mille.

Le lac s'éloigne par assèchement  peu à peu de Bab el Bahr (porte de France) en 1850, sa rive est au niveau de l'avenue de Carthage, aussi l'avenue de la Marine commence à prendre forme. Il  n'y avait autrefois à Tunis que des puits et des citernes, à partir de 1861 l'eau potable y arrive par réfection de l'aqueduc romain de Zaghouan et le captage d'une source près de Grombalia, Aïn Ziza. L'eau se déverse à son arrivée dans un grand réservoir en haut de la médina au niveau de l'actuelle rue du Réservoir.

En 1881, Tunis comptait 120000 habitants dont 3000 européens.

François ARNOULET

Extrait du Mémoire Vive