Le drame de Mostaganem, regards croisés

 L’ECHO D’ORAN DU 16 SEPTEMBRE 1960 : « La ville a connu, hier soir, le plus grave attentat qui se soit perpétré à Mostaganem depuis le début de la rébellion. En effet, les tueurs du FLN ont fait exploser un engin d’une très forte puissance au théâtre espagnol « Monte Carlo » à l’heure de la représentation. L’explosion a fait de nombreuses victimes : 5 morts et une cinquantaine de blessés »

Deux livres sortis récemment reviennent sur ce dramatique évènement :

LA BOMBE de Nicole Simon et LA LEVECHE SOUFFLA SUR L’ORANIE de Régis Guillem

Nicole Simon avait 15 ans et assistait à ce spectacle. Elle se retrouva parmi les nombreuses victimes, avec d’atroces plaies aux jambes : « alors que les artistes montaient sur scène, un monumental éclair et une colossale boule de feu explosa en mille fusées rouges enflammées qui filaient à toute allure dans le ciel ….. Emportée dans les vents de ces flammes, mes vêtements étaient déchiquetés et brulés, mes chaussures arrachées, et assommée, j’atterris dans une allée, près d’un siège du premier range, face à la scène. ….Je baissai les yeux sur mes plaies … Je n’étais plus qu’une sans chaussures aux habits déchirés et carbonisés, clouée au sol, impuissante et humiliée. Mon pied droit n’était qu’une plaie ouverte …..Sur ma jambe et ma cuisse gauches, il n’y avait plus un seul grain d’épiderme indemne». Désormais les souffrances tant physiques que morales ne la quitteront plus. Interne dans un lycée parisien à la rentrée 1961, elle découvre le mot « pied noir » ainsi que le dénigrement permanent de ces derniers. Pour se protéger et survivre, elle cache ses jambes et ses douleurs permanentes, se mure dans le silence et enfouit ce passé qu’elle ne veut plus regarder : « se taire et oublier, telle était et sera longtemps ma destinée ». « J’avais tout perdu, la bombe m’avait tuée ». Puis ce sont les études de médecine, le mariage, la maternité, mais elle doit constamment « lutter contre les brûlures, la claudication et le martyre imposé par la mémoire ». En 2002 elle a l’occasion de retrouver des anciens camarades de Mostaganem, puis une amie d’enfance musulmane. Le lien avec son passé était renoué mais elle n’en était pas délivrée jusqu’à ce 23 février 2009 où une jeune française est tuée dans un attentat au Caire. C’est le déclic : « je compris alors que l’unique solution passait par l’écriture  si je voulais être un jour libérée des gangrènes que l’attentat avait statufiées en moi-même ». Ce fut une réelle épreuve physique allant jusqu’à un abcès sur sa jambe martyrisée mais ce fut « le recommencement paisible de mes souvenirs revus, corrigés et relativisés par le temps ….. Tout s’en allait dans la sérénité, la paix et la tranquillité ».

Rien de tel dans le récit de Régis Guillem qui vivait depuis peu avec ses parents à Mostaganem après quelques années passées à Aïn Sefra. Il avait alors 16 ans ce 16 septembre 1960 et deux de ses cousines, venues d’Assi Bou Nif assistaient à la représentation. Il fut l’un des premiers sur place après l’explosion ; le spectacle est tel que son cœur s’emplit de haine « une rage sourde me gagne. Je n’ai plus qu’une pensée : venger ce massacre par n’importe quel moyen…. Elle ne cessera jamais et bien au contraire s’amplifiera au fil des semaines et des mois ». Ce qui le conduira à s’engager dans la lutte anti FLN puis dans les rangs de l’OAS, notamment dans les monts du Dahra puis à Mostaganem et Oran. Il sera arrêté le 19 juin 1962 par la force locale, récupéré dans un premier temps par les gendarmes puis les gardes mobiles. Libéré sans explication après quelques jours d’interrogatoires  musclés, il se retrouve démuni de tout dans les rues d’Oran et parviendra très difficilement à embarquer sur un avion en partance pour Marseille.

Notons que, en 1967, alors en poste à Colomb Bechar avec le 2eme REI dans lequel il s’était engagé, il est apostrophé par un musulman présent qui, après l’avoir longuement dévisagé, lui dit «  tu t’appelles Régis et tu habitais à Aïn Sefra ». Il s’agissait de l’un de ses anciens compagnons d’enfance, devenu officier de l’ALN. «  Dans un même élan, à la stupéfaction des autres consommateurs et du patron du bar qui visiblement ne pouvaient comprendre qu’un musulman et un légionnaire, pied-noir qui plus est, s’étreignent, nous nous jetâmes dans les bras l’un de l’autre ». Et pourtant «  cela avait un sens profond, cela faisait apparaître qu’il n’y avait pas le fossé et la rupture que l’on a bien voulu faire croire ». Puis ce furent les retrouvailles avec un autre de ses camarades musulmans d’Aïn Sefra et toutes les permissions désormais passées avec ses deux amis d’enfance, dans une ambiance chaleureuse mais teintée d’une pointe d’amertume pour ces derniers.