Le Père Charles de Foucauld soldat de France

A l'occasion des 100 ans de la disparition de Charles de Foucauld, en avant-première, un extrait du prochain Mémoire Vive n°64.

C'est le 1er décembre 1916, au plus fort de la Grande Guerre, que le Père de Foucauld mourait assassiné devant son bordj, dans un Sahara prêt à se soulever à l'appel des rebelles senoussistes. Il avait été pendant quinze ans la clef de voûte de l'ordre et de la soumission que l'ennemi, stipendié par l'Allemagne et la Turquie, voulait saper. Mieux qu'un cardinal Lavigerie, mieux qu'un Lyautey, dont il ne reste rien qui soit force de vie pour l'avenir, l'ermite du Hoggar, dont la vie fut apparemment un échec, a tracé un sillon prometteur de riches moissons, à condition d'être fidèle à son esprit et à son cœur de flamme.

« L'Amour le guidait en tout. Il aimait les soldats de l'Armée coloniale et se fit leur prêtre et leur père. Il aimait les pauvres du Sahara et voulut ardemment leur bien. Leur bien, c'était d'abord la Paix française. (…) Il souffrait de la République laïque, matérialiste, centralisatrice, stupide et inhumaine. Il ne pouvait rien en dire, par prudence. Sans la protection de Laperrine, elle l'aurait banni du Sahara ! Il supportait mal l'apparente irréligion de tant de Français qui scandalisait les indigènes et retardait le temps de leur conversion. Il détestait plus que tout la dialectique du maître et de l'esclave, sous quelque forme qu'elle s'établisse, mais il savait possible, désiré, désirable, le contact humain, profond, religieux qui fonde les rapports de colonisés à colonisateurs sur la bonté. »[1]

Rappelons ce qu'il disait sur la nécessité de réprimer les rébellions, par amour des petits et des pauvres dans une lettre adressée au capitaine Duclos, le 1er septembre 1916 :

« Je suis entièrement de votre avis sur la nécessité absolue d'une répression sévère des crimes comme des désertions, des dissidences, des passages à l'ennemi…, sur la nécessité de s'abstenir de négociations avec les indigènes ennemis, sauf le cas où ils viennent demander l'aman* en faisant pleinement soumission. Ne pas réprimer sévèrement, c'est enhardir les criminels et encourager les autres à les suivre ; c'est perdre l'estime de tous, soumis et insoumis qui, dans cette conduite, ne voient que faiblesse, timidité, crainte ; c'est décourager les fidèles, qui voient que le même ou presque le même traitement attend les fidèles et les déserteurs, les soumis et les rebelles. Ne pas chasser les indésirables, c'est laisser des ferments de trouble, faibles dans le début, se développer et produire leur plein effet qui peut être très grave et atteindre la pleine rébellion. Traiter de puissance à puissance avec des chefs ennemis ou rebelles, c'est les grandir infiniment et se diminuer d'autant. »

La Statue de Charles de Foucauld est située sur le parvis de la cathédrale de Strasbourg

            Le creuset de la Grande Guerre

« Comme vous, confiait-il encore à Joseph Hours, j'espère que, du grand mal qu'est la guerre, sortira un grand bien pour les âmes (…). Pour que nos sujets infidèles qui combattent en foule sur notre sol, apprennent à nous connaître, se rapprochent de nous (…).»

Les « indigènes », comme on les appelait à l'époque, sans qu'il y ait le moindre mépris dans cette appellation, se montrèrent pendant les quatre ans de guerre d'une fidélité exemplaire. Ils furent au total 170 000 à participer à cette guerre ; 25 000 zouaves, tirailleurs, spahis, ou chasseurs d'Afrique donnèrent leur vie sur les champs de bataille de la Marne, de Champagne, de l'Yser, de Verdun. Le village de Gouraya en Algérie revendique le douloureux honneur d'être la commune de France ayant perdu proportionnellement le plus de ses enfants, toutes races confondues.

À condition d'être bien commandés, ces indigènes furent de redoutables combattants, spécialistes du corps à corps et, de ce fait, souvent employés en fer de lance dans les offensives. Mais c'étaient aussi de grands enfants. Pour les galvaniser, leurs officiers devaient payer de leur personne. D'où les pertes énormes en officiers dans les unités de l'Armée d'Afrique.

Nos « sujets infidèles » retirèrent de cette guerre des réalités profondes qui, de retour au pays, les amenèrent, entre autre, à scolariser leurs enfants et à les confier à l'école publique, hélas laïque ! Souvent incapable de répondre à leur attente, faute de moyens.

            Un chantier déserté

Un certain nombre de travailleurs nord-africains, venus en métropole pendant la guerre, y demeurèrent pour participer aux tâches de la reconstruction. On en recensait 65 000 au 1er octobre 1918. (…) Pour l'année 1924, on enregistra l'entrée en France de 71 028 Algériens. Parce qu'un tel afflux de travailleurs immigrés ne répondait à aucune nécessité économique ou politique française, il ne produisit pas le rapprochement souhaité par le Père de Foucauld, sinon d'une manière superficielle. Déracinés, ils devinrent des proies faciles pour les organisations syndicales communistes. (…) Par malheur pourtant prévisible, les musulmans très attachés à leur foi, refusaient d'acquérir le titre de citoyens français au prix de ce qu'ils considéraient comme un reniement.

(…) La loi du 4 février 1919, se contenta de créer entre les musulmans devenus citoyens et les sujets français sans droits politiques, une catégorie de musulmans qui, en vertu de leur instruction, de leur fortune ou des services rendus à la France recevaient certains droits en gardant leur statut coranique.[2]

La question religieuse n'ayant pas été résolue, une brèche s'ouvrait dans le statut colonial jusqu'alors indiscuté. La démocratie commençait à semer ses graines de zizanie entre les deux communautés, en attendant que le sang coule.

Lithographie d’El Oued réalisée par Charles de Foucauld le 10 décembre 1885

            « S'ils ne se convertissent pas…, Ils nous chasseront »

Le Père de Foucauld avait lancé, quelques mois avant sa mort, ce solennel avertissement dans une lettre adressée à René Bazin le 16 juillet 1916 : « Ma pensée est que si, petit à petit, doucement, les musulmans de notre empire colonial ne se convertissent pas, il se produira un mouvement analogue à celui de la Turquie ; une élite intellectuelle se formera dans les villes, instruite à la française, sans avoir l'esprit ni le cœur français, élite qui aura perdu toute foi islamique, mais qui en gardera l'étiquette pour pouvoir, par elle, influencer les masses ; d'autre part, la masse des nomades et des campagnards restera ignorante, éloignée de nous, « ferment mahométan », portée à la haine et au mépris des Français par sa religion, ses marabouts, par les contacts qu'elle a avec les Français, contacts qui trop souvent ne sont pas propres à nous faire aimer d'elle. Le sentiment national ou barbaresque s'exaltera dans l'élite instruite ; quand elle en trouvera l'occasion, par exemple lors de difficultés de la France au-dedans ou au-dehors, elle se servira de l'Islam comme d'un levier, pour soulever la masse ignorante et cherchera à créer un empire africain indépendant … Si nous n'avons pas su faire des Français de ces peuples, ils nous chasseront. Le seul moyen qu'ils deviennent Français est qu'ils deviennent chrétiens. »

Rarement, on a été si bon prophète.

Elisabeth Cazenave

Frère Mathieu de Saint-Joseph.

Extrait de la publication de la CRC (Contre Réforme Catholique) Camp Notre-Dame de Fatima, n° 53, Janvier 2007.

 


[1]                     CRC n° 107, La Mission Catholique de la France, p. 11-12
*Aman : en pays musulman, octroi de la vie sauve à un ennemi vaincu

[2]                     Claude Martin, Histoire de l'Algérie Française, 1963, p. 261.