Le précurseur du grand tourisme en Algérie : John Dal Piaz

Il est fréquent de constater que des destins croisés marquent certaines époques, c’est assurément le cas de ceux de John Dal Piaz, de la Compagnie Générale Transatlantique et de l’Algérie.

Origine de la Compagnie Générale Transatlantique

À l’origine, fut la Société Louis Arnaud, Touache Frères et Compagnie dont l'objectif était de « contribuer au développement des relations entre la Métropole et la Colonie (l’Algérie), de les rapprocher l'une et l'autre […] en réduisant autant que possible la durée des traversées ». Louis Arnaud, agent maritime à Marseille, et les frères Touache, des banquiers lyonnais, la fondèrent en décembre 1850.

Cette société lance son premier navire, affecté à la ligne Marseille-Alger, en février 1852, le Du Tremblay, un vapeur à hélice dont la capacité de transport était de 50 passagers et 350 tonnes de fret.

L’association des fondateurs de cette société avec les frères Jacob Rodrigue Émile Pereire et Isaac Rodrigue Pereire - des hommes d'affaires qui ont, entre autres, participé aux opérations immobilières liées à la modernisation de Paris dirigée par le Préfet Haussmann - va donner naissance à la Compagnie Générale Maritime (décret du 2 mai 1855) qui prend, également le nom de Compagnie de Navigation Mixte (CNM).

En 1858, les services assurés par la CNM sont :

Marseille-Alger hebdomadaire le jeudi.

Marseille-Valencia-Oran hebdomadaire le mercredi.

Marseille –Stora hebdomadaire le vendredi.

Marseille-Alger-Bône-Stora-Tunis-Malte mensuel.

La Compagnie Générale Maritime renommée Compagnie de Navigation Mixte (CNM) prend par décret impérial, en 1861, la nouvelle dénomination de Compagnie Générale Transatlantique (CGT, souvent surnommée Transat, ou French Line par la clientèle, notamment anglophone), elle conservera également le nom de CNM, rien ne différenciait ces deux entités hormis la limitation statutaire de certaines affaires à la CGT.

La nouvelle dénomination CGT, correspond plus précisément aux nouveaux services assurés

 En effet, outre les services réguliers sur l’Atlantique Nord : Le Havre-New York, Saint-Nazaire-Isthme de Panama et trois services annexes pour la Guadeloupe, le Mexique et Cayenne, elle assure un service régulier de douze voyages par mois sur l’Algérie : 4 sur Alger, 3 sur Oran, 3 sur Philippeville, 1 sur Bône, 1 sur Tunis.

En 1875, la Compagnie Générale Transatlantique connaît diverses difficultés, les frères Péreire sont appelés à en prendre la direction pour assurer son redressement. Émile meurt cette année-là et ce sont Isaac et son fils Eugène qui assureront le rétablissement de l’entreprise avec, notamment, la modernisation de la flotte et la création de grands paquebots correspondant mieux à la clientèle ciblée.

En 1904, Eugène Pereire, diminué physiquement, est évincé de la direction et le conseil d'administration renouvelé. C'est la fin du règne de la famille Pereire sur l'entreprise. Jules Charles-Roux, devient Président de la compagnie, il nomme John Dal Piaz, Directeur Général.

La prise de fonction de ces deux hommes talentueux profite pleinement à la compagnie qui se hisse, dès le début de la Première Guerre mondiale, à une place de premier rang ; elle sera aussi, marquée par une politique de reconquête de la clientèle. Après plusieurs voyages aux États Unis, ses dirigeants décident d'un changement de politique en ciblant une nouvelle clientèle et en adaptant économiquement et commercialement leur flotte aux objectifs commerciaux qu’ils se sont fixés. La course à la vitesse et le prix du charbon les amènent, avec leurs équipes, à considérer que la vitesse des paquebots ne pourra, dorénavant, être dépassée que par un changement technologique. en 1906, suite à ce constat, le paquebot La Provence est mis en service. Nettement plus grand que ses prédécesseurs (190 mètres, 13 000 tonneaux), il atteint des vitesses très honorables et réussit à battre l’un des paquebots les plus rapides du monde, le Deutschland. C’est aussi le premier paquebot de la compagnie à être équipé de télégraphie sans fil, laquelle permet aux passagers de communiquer avec la terre ferme, mais surtout de recevoir à bord les nouvelles du monde. Un journal quotidien, L'Atlantique, est créé à destination des passagers.

L'activité commerciale traditionnelle de la compagnie est brusquement stoppée en août 1914 avec la déclaration de la guerre ; cela l’amènera - avec la réquisition des deux cinquièmes de sa flotte (37 navires) - à contribuer aux opérations militaires et à participer au blocus de l'Allemagne. Certains de ses navires seront même transformés en navires-hôpitaux.

En 1918 Jules Charles-Roux meurt, il est remplacé par Gaston de Pellerin de Latouche qui meurt lui-même en 1920.

Le Président Dal Piaz

John Dal Piaz (né en 1865, mort le 18 juin 1928) est un homme d'affaires français ayant évolué dans le milieu de la marine. Né dans une famille de la grande bourgeoisie parisienne, en 1988, à 23 ans, il intègre la Compagnie Générale Transatlantique, en qualité de stagiaire dans des structures portuaires, puis en tant que secrétaire du président d'alors, Eugène Péreire, avant de devenir Secrétaire Général de la compagnie en 1900, puis Directeur Général en 1909.

Le Président Dal Piaz

Homme de qualité et de grande fidélité à la compagnie, John Dal Piaz, en assure, dès 1920, la présidence.

C’est dans un marché difficile et fortement concurrentiel qu’il prend ses fonctions.

La politique commerciale et qualitative qu’il a mise en place avec son prédécesseur porte ses fruits, la compagnie se développe fortement.

De nouveaux navires sont terminés, notamment le Paris, dont il surveille de près la finition. Doué d’une forte créativité, il rêve de développer une offre complète de tourisme en Afrique du Nord avec pour cible les touristes du monde en général, les Anglais et les Américains, en particulier, qu’il a appris à connaître lors de ses multiples déplacements dans ces pays.

En 1918 née l’idée de créer des « Auto-circuits Nord-Africains ».

En 1919-1920 sont créés les hôtels Transatlantique et les Auto-Circuits.

En 1925, création de la Société des Voyages et Hôtels Nord-Africains.

En 1927, le fleuron de la flotte de la Transat, le paquebot Île-de-France est mis en service.         

En pleine période de Prohibition la clientèle américaine, attirée par la finition des navires français, afflue ; c’est une période considérée comme « l’âge d’or » de la compagnie.

Création de la Société des Voyages et Hôtels Nord-Africains

Après avoir développé les lignes maritimes vers l’Afrique du Nord avec des paquebots comme le Lamoricière, c’est en 1919 que John Dal Piaz, murit, avec ses équipes, les projets des auto-circuits nord-africains et des hôtels Transatlantique, projets qu’il concrétisera et développera fortement dès sa nomination en qualité de Président de la compagnie. Ces réalisations vont décupler le grand tourisme en Afrique du Nord.

Commencé au printemps 1920, au Maroc et dans l’Ouest de l’Algérie, l’effort de développement des hôtels Transatlantique s’est rapidement étendu au reste de l’Algérie, à la Tunisie et aux territoires du sud.

Des amateurs de grand tourisme, des artistes – peintres, romanciers et poètes – vont en être les premiers clients, ils contribueront à la notoriété de cette nouvelle forme de tourisme qui fera connaître l’Afrique du Nord au monde entier.

 

Les Hôtels Transatlantique

L’offre hôtelière touristique en Afrique du Nord au début du XXe siècle était insuffisante et souvent mal adaptée à la clientèle internationale. Le Président Dal Piaz crée et met en place ce nouveau concept qui, au fil du temps, aboutira à un style architectural « art déco/néo orientaliste » qui fera la spécificité de ces hôtels.

Il est nécessaire de rappeler que, depuis un siège social métropolitain, bâtir un hôtel en Afrique du Nord ressortait du « tour de force ».

Si la saison touristique 1919-1920 comptait sept hôtels et quatre cars qui parcoururent 110 000 kilomètres, la dernière saison vécue par le Président Dal Piaz comptait 44 hôtels, 280 cars et voitures particulières qui transportèrent 5 000 voyageurs sur des circuits aussi divers et intéressants que le circuit du grand erg : d’Alger à Alger par Bou Saada, Laghouat, Figuig, Timimoun, El Goléa et Ghardaïa.

Les hôtels se nommaient Hôtel Transatlantique, les plus prestigieux étaient doublés d’un patronyme tel, l’Algeria à Alger, le Palais Jamai à Fès, les Oudaias à Rabat et la Mamounia à Marrakech (aujourd’hui, fleuron emblématique de l’hôtellerie de luxe marocaine).

L’organisation, la réussite et le retentissement de ces circuits touristiques peuvent être considérés, pour l’époque, comme une véritable œuvre de propagande française.

W.L.Warden, directeur du « Daily Mail », de retour d’une excursion en Algérie et Tunisie, ne décrivait-il pas son voyage de « voyage de féerie ».

M. Colin-Davidson, du Morning Post, déclarait : « Tout voyageur qui a négligé de visiter l’Algérie et la Tunisie a commis un péché d’omission dont il doit se repentir et qu’il doit réparer ».

S.E. M. l’ambassadeur Myron T Herrick, écrivait, de retour de son voyage au Maroc, dans The Saturday Evening Post du 20 novembre 1926 : « Voir comment la France résout ce problème - celui des contacts avec les autres races – dans des conditions aussi complexes que celles existant au Maroc est au plus haut point instructif. Voilà une des raisons pour lesquelles je suggérerai aux Américains de visiter ce pays étrange, si vieux, si nouveau, si riche d’histoire, si lointain et cependant si accessible ; pays qui me fait souvent penser à « la ruée vers l’Ouest » dans notre « Far West » éclairé par la lampe merveilleuse d’Aladin. »

Les Auto-circuits

Outre l’hébergement, la Compagnie Générale Transatlantique assurait le transport de sa clientèle par cars. Si le transport des touristes semblait facile, sa pratique n’en restait pas moins compliquée.

En Afrique du Nord, pourtant dotée de voies de circulation nombreuses et modernes, la desserte de lieux touristiques disséminés, voire retirés, sur ces vastes territoires était rendue difficile sur des routes souvent étroites ainsi que par le franchissement de cols escarpés ou de traversées d’oued en crues.

Ces circuits se voulant de qualité, chaque voyage nécessitait de la méthode, du confort pour les passagers, de la place pour les nombreux bagages, du respect pour les temps de déplacement ainsi que la gestion des imprévus.

La conception des véhicules Auto-circuits assurait, outre un confort optimal, un agrément visuel incomparable.

 

Les voitures six roues

La clientèle des hôtels Transatlantique se faisant pressante pour obtenir des circuits plus exotiques et des véhicules de transport particulier de préférence aux véhicules de transport en commun, le Président Dal Piaz, toujours resté attentif aux expéditions des véhicules Renault six roues et à leurs exploits de franchissement des dunes de sables, des chemins caillouteux et des obstacles les plus infranchissables, décide d’équiper ses hôtels sahariens de véhicules six roues adaptés à des excursions touristiques, atypiques, dans les dunes. Les hôtels Transatlantique seront les seuls hôtels au monde à offrir un tel service à leur clientèle.

Une voiture six roues entre Touggourt et El-Oued

Le Président Dal Piaz, fit, en 1924, la déclaration suivante à l’Institut Colonial :

« Des entreprises comme les circuits de la Transatlantique en faisant connaître l’Algérie, la Tunisie et le Maroc présentent, à mon sens, une grande utilité au point de vue national.

Nos possessions de l’Afrique du Nord constituent une grande partie non seulement du crédit, mais aussi de l’avenir de la France. Beaucoup de Français ont été ébranlés par les événements de la guerre, et parfois démoralisés : qu’ils traversent la Méditerranée et qu’ils aillent prendre, avec une leçon d’énergie et de confiance, des motifs d’espérer et de vouloir, fondés sur les ressources de nos nouveaux continents. Quant à l’étranger, qui doute encore quelque peu du relèvement de notre pays, il comprendra là-bas que la France a devant elle un très grand avenir, qu’il est presque immédiat et qu’elle a droit au crédit du monde. »

La mort prématurée, en juin 1928, du Président Dal Piaz, crée une période d'instabilité pour la compagnie, rapidement fragilisée par la crise économique.

Ce Président est considéré comme l'un des hommes qui a marqué, durablement, l'histoire de l'entreprise. La compagnie lui rend un bel hommage en nommant « Président Dal Piaz » l’un de ses paquebots de la ligne de l'Afrique du Nord mis en service en 1929.

Cet article se veut un juste hommage à l’homme d’exception que fut le Président John Dal Piaz, toujours mû par l’idée maîtresse de faire aimer la France au travers de ses entreprises. Il occupa au cours de sa carrière de multiples fonctions, il fut Président de l'Académie de Marine et du Comité Central des Armateurs de France, Vice-président de la Ligue maritime et coloniale française, membre associé du Conseil supérieur de la marine marchande, de celui des colonies, des travaux publics, et du tourisme. En 1924, dans une substantielle étude, il exposa sa conception du "paquebot moderne" et son "Ile de France" fut doté du premier hydravion lancé par catapulte, qui fit gagner des heures au courrier transatlantique. Il réalisa aussi des hôtels flottants comme le "Paris" au lendemain de la première guerre mondiale, et en fit construire plusieurs dizaines dont quarante en Algérie, en Tunisie et au Maroc. Soutenu et encouragé par le Maréchal Lyautey, il fut sollicité partout dans le monde.

Vice-président du Comité France-Amérique, il fut un lien entre les deux pays.

Après la guerre, il participa à la mission officielle de reconnaissance de la flotte allemande en 1925 et contribua activement à la création du Comité d'action économique et douanière internationale.

Il fut, également, administrateur de nombreuses sociétés telles : la Banque d'Algérie, les Chantiers et ateliers de Saint-Nazaire, et la Compagnie internationale de navigation aérienne, ainsi que membre de l'Académie des marins et de l'Institut colonial français.

Ses multiples activités et participations au sein des milieux économiques et sociaux lui ont valu d’être élevé à la distinction de Grand-croix de la Légion d'honneur.

Qu’en est-il advenu de la Compagnie Générale Transatlantique ?

Le transport de passagers ne cessant de croître, la CNM inaugure en 1929, en partenariat avec la Compagnie du Midi, une gare maritime à Port-Vendres.

C’est en 1930 qu’est mis en service le paquebot Normandie.

Au cours de la période très difficile de la seconde guerre mondiale sa flotte passera de 15 navires en 1939 à 3 en 1945 et dans la même période sa base de Port-Vendres sera lourdement endommagée.

Après s’être rétablie durant une dizaine d’années, la guerre d'Algérie et l'accession de celle-ci à l’indépendance en 1962 réduiront de manière drastique son chiffre d'affaires. Le paquebot France est lancé en 1962.
Le capital de la compagnie est détenu, en 1967, par une société d'assurances La Fortune.

En 1969, la CNM se rapproche de la Compagnie Générale Transatlantique pour créer la Compagnie Générale Transméditerranéenne à qui elle cède l'ensemble de sa flotte.

Dans les années qui suivent, la compagnie fusionne avec la Compagnie des Messageries Maritimes pour former la Compagnie Générale Maritime, devenue par la suite Compagnie Maritime d’Affrètement  - Compagnie Générale Maritime (CMA - CGM).

Les paquebots de la Compagnie Générale Transatlantique ont souvent été des ouvrages d'art symboliques du bon goût de leur époque, ils étaient destinés à représenter l'image de la France à l'étranger. De même, la qualité de leur service et en particulier celle des repas et des vins, a fidélisé une clientèle internationale fortunée.

Alain GIBERGUES

Extrait du Mémoire VIve n°60

Bibliographie :

  • Barbance Marthe, « Histoire de la Compagnie Générale Transatlantique ». Editions Arts et Métiers Graphiques, 1955.
  • Bernadac Bernard, « Histoire de la Compagnie de Navigation Mixte ». Editions Paysan, Marseille, 1985.
  • Compagnie Générale Transatlantique, « Les Hôtels Transatlantique ». Plaquette publicitaire
  • Compagnie Générale Transatlantique. « Circuits - Transat - Afrique du Nord ». Plaquette publicitaire. 1938.
  • « Compagnie Générale Transatlantique, Compagnie de Navigation Mixte, Auto-circuits… ». Sites Internet 
  • Ricard. J-H, « Le Grand Tourisme dans le Nord-Africain, l’œuvre du Président Dal Piaz », Editions Ligue Maritime et Coloniale. Paris.