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Chameau

DU CHAMEAU Comme moyen de transport des malades et des blessés
Description sommaire du nouvel équipement de chameau et du nouveau cacolet -litière avec une théorie sur l’utilisation de ces appareils

Rapport de Mr GEORGES, Médecin aide-major de 1ère classe aux hôpitaux de la division d’Alger Août 1896

Quelles différences d’usage et d’entretien entre le mulet et le chameau ? Connaît-on le poids du bât ou de la litière en bois ? Comment sélectionner le type d’animal devant assurer le transport des hommes blessés ? Au-delà de questions d’indiscutable intérêt, cette étude figurant dans la bibliothèque du CDHA, apporte un éclairage instructif sur la rédaction des notes militaires de cette fin du 19ème siècle.

Un examinateur contemporain y constaterait une forte similitude avec le produit des formations dispensées dans les grandes écoles d’aujourd’hui; le rapport du Dr Georges lui permettrait d’accéder, sans aucun doute, au très sélectif Institut d’Études Politiques de Paris ! La construction du rapport est remarquable. Après le rappel des précédents travaux du rédacteur portant tous sur les transports d’hommes dans l’extrême Sud-algérien, est présentée la problématique centrale : le transfert des soldats malades ou blessés étant assuré depuis plusieurs années à dos de chameau, comment en améliorer le confort, la sécurité et enfin le coût ? Énoncé clair et synthétique avec les trois objectifs assignés à l’étude.

L’innovation au service des hommes : bât et cacolet-litière.

Dans un premier paragraphe, le médecin-major confirme l’exclusion décidée de l’utilisation du mulet pour des raisons économiques et de confort. Ainsi rappelle-t-il que cet animal doit être ravitaillé quotidiennement en orge et surtout en eau, nécessitant l’adjonction impérative, dans le grand Sahara, d’un chameau à sa suite.

Le choix initial n’étant pas discutable, il est rappelé que Monsieur le Ministre de la Guerre ayant personnellement observé l’inconfort du bât de mulet utilisé jusqu’ici, et même sa dangerosité causée par l’instabilité du chargement, a demandé la mise à l’étude de toute modification susceptible d’en améliorer l’usage. Voilà comment naît l’innovation! Partant d’une contrainte, obtenir un équipement nouveau répondant à des exigences d’acceptabilité par les utilisateurs et s’autofinançant.

Et le Dr Georges propose alors deux créations : le bât spécialement adapté au chameau, dont un spécimen vient d’être construit, en 1895, à Laghouat, et le cacolet-litière, appareil nouveau destiné aux blessés graves. Le premier servira au transport « rapide et économique des fantassins valides et armés, le prix de la construction de l’appareillage étant remboursé par les économies faites sur la suppression des nombreux équipages d’eau devenus superflus ».

Le second équipera par paire, chaque appareil étant disposé de part et d’autre de l’animal, offre une stabilité remarquable, et dans la proposition faite, un poids allégé et une accessibilité plus grande.

Des conseils à l’utilité avérée. L’on apprend comment est composé l’équipement du chameau : un bât, une haouïa ou matelassure, cinq cordes et deux ogal ou entraves, soit au total 9 pièces pour un poids de 29,800 k maximum.

Vient ensuite une « théorie sommaire du bâtage du chameau et des manœuvres de transport des blessés ». Elle insiste sur le choix des chameaux porteurs qui doivent présenter les trois qualités suivantes : vigueur, douceur et aptitude à marcher solitaire et non en troupeau.

Des conseils d’expérience sont alors dispensés : pour trouver des animaux doux, doit-on « prendre des renseignements auprès des différents blachhamaras (chefs chameliers) en sachant que chaque blachhamar indique toujours les animaux paisibles des fractions qu’il ne commande pas, en ayant soin de passer sous silence ceux de sa fraction.»

Nous avons là les deux parties composant obligatoirement l’exposé de Science-Po, articulées autour du dyptique description/utilisation.

Le marketing (pardon pour le néologisme !) trouve sa juste place dans l’étude, par nombre de remarques et suggestions faites pour convaincre les autorités militaires de promouvoir ces deux innovations, mettant en avant l’avantageux rapport coût/qualité.

La conclusion est pleine de la modestie qui caractérise cet excellent et polyvalent praticien : « nous n’avons eu ni la prétention ni la fatuité de croire à la découverte d’une panacée : au néant actuel, nous avons cherché simplement à substituer quelque chose. À nos camarades et successeurs de perfectionner ce que nous avons ébauché ! ».

Jean CAZUELA

Extrait du Mémoire Vive n°40