Marcel Briguiboul : Un artiste oublié 1831- 1892

Marcel Briguiboul, peintre de talent passionné d’art, collectionneur, se laisse séduire par l’orientalisme à la mode de l’époque. C’est l’aspect de son œuvre que nous vous proposons de découvrir parmi les 200 toiles, dessins et aquarelles conservés au musée Goya de Castres, donnés de son vivant en 1881 et enrichis plus tard du legs de son fils Pierre et de sa veuve Valentine.

Cet artiste tombé dans un oubli total et fort immérité est redécouvert, à l’occasion d’une exposition organisée en 1982 au musée Goya qui lui rend hommage.

Briguiboul, un nom qui sonne fort et qui roule dans la mémoire de la Ville de Castres berceau de la famille de l’artiste qui, non content d’être peintre est aussi un collectionneur aux goûts éclectiques.

Disposant d’une bonne aisance financière, il peut acquérir des pièces remarquables qui aujourd’hui sont la fierté du musée de Castres.

On doit saluer chez ce peintre un goût très sûr, car procéder à l’achat d’œuvres de Goya en 1881 fait figure d’acte pionnier. C’est là que réside l’incontestable originalité de Briguiboul, sensibilisé très jeune à l’art espagnol puisque ne l’oublions pas, il fait ses premières études en Espagne à Barcelone puis à l’Académie San Fernando de Madrid.

Briguiboul généreux donateur de toiles du grand artiste espagnol, inestimable cadeau au musée, encourage la ville, l’État et les mécènes, à constituer la première collection de peinture espagnole en France. S’ajouteront au legs, des tapisseries, un ensemble de faïences hispano-Mauresques et une grande partie de son œuvre installée dans une salle du musée.

Marcel Briguiboul naît en 1837 sous la Monarchie de Juillet ; il grandit sous la Deuxième République proclamée en 1848, arrive à Paris sous le Second Empire instauré en 1852 ; blessé en 1870, il meurt en 1892 sous la Troisième République.

En 1858, le peintre se rend à Paris où il complète sa formation artistique dans l’atelier de Léon Matout, il expose au Salon à partir de 1861.

 

Le voyage en Algérie

En 1872, il part en Algérie à Tlemcen en particulier et trouve de nouvelles sources d’inspiration. Pendant son séjour d’environ 18 mois au Maghreb, l’artiste peint une douzaine de toiles aux couleurs vives représentant des femmes mauresques et des scènes d’intérieurs arabes, il renouvelle tout à fait son style. Plus tard il se rendra en Italie, s’installera à Florence pour enrichir et perfectionner son art. En 1882, il revient en Espagne, fait l’acquisition d’œuvres majeures de Francisco Goya, dont La Junte des Philippines, joyau des collections d’art espagnol du Musée Goya. Bien que riche, il doit emprunter pour acheter cette toile de grandes dimensions.

Dans la première moitié du siècle, la découverte de l’Orient permet aux artistes de rapporter leur propre vision de ces pays inondés de lumière. Delacroix écrit du Maroc en 1832 « Je suis tout étourdi de ce que je vois ». Le Maghreb est pour eux un fabuleux stimulant de formes et de couleurs, un réservoir de sujets encore inexplorés.

En Espagne, où il perçoit un avant-goût de l’Orient, il apprend la leçon ancestrale du naturalisme des Espagnols « cette vérité dans le naturel », enseigné au XVIIe siècle par le maître de Velasquez, Francisco Pacheco.

L’année 1863 représente une étape décisive dans la carrière de Marcel Briguiboul.

Une récompense au Salon, un achat de l’État consacrent son talent tandis que les critiques de l’époque commentent abondamment son travail.

Après 1868, le poids des événements familiaux – la mort de son père en 1869 – et politiques – la guerre de 1870 suivie de l’insurrection de la Commune de Paris – freine ses activités artistiques et interrompt sa carrière.

L’année 1871 marque un tournant important dans sa vie personnelle et professionnelle en l’éloignant de la capitale et lui ouvrant de nouveaux horizons. Une période heureuse commence alors pour lui avec son mariage, la naissance de son fils, les voyages à l’étranger.

Engagé courageusement dans le conflit contre la Prusse, il est blessé lors d’une mission périlleuse et soigné par une jeune infirmière, Valentine Arban. Fille unique du célèbre chef d’orchestre Joseph Arban, cette jeune musicienne évolue dans un milieu brillant. Des affinités artistiques rapprochent ces deux personnalités qui se marient et partent en Algérie : leur fils unique Pierre naît à Alger en décembre 1871.

Éloigné des salons parisiens et des critiques, ce voyage au Maghreb libère son talent. Sous cette lumière éclatante, il peint des femmes de chair et de sang, attirantes, malicieuses, saisies comme. Delacroix dans leur quotidien. Les coussins aux couleurs vives, les riches tentures drapées des intérieurs, les poses gracieuses, les étoffes transparentes évoquent un art de vivre fait de quiétude voluptueuse. Les patios baignés de lumière, les paysages au ton pastel comme suggérés, traduisent une volonté de plein air, proche de la vision impressionniste. Dans ces œuvres éclatantes transparaît le bonheur de l’artiste, délivré du carcan académique. Briguiboul est mêlé aux préoccupations picturales et littéraires de son temps, il se libère comme Renoir qu’il admire, des conventions d’atelier, ce voyage stimule sa curiosité et la capacité de renouvellement de son art.

C’est durant la période orientaliste qu’il donne le meilleur de lui-même. Son sens de l’observation, sa science du dessin et du modelé, sa parfaite maîtrise de l’aquarelle, sa mise en page stricte, lui font appréhender aisément le sujet.

Après l’Algérie, en compagnie de sa femme et de son fils, il prolonge ses voyages en Italie, sur la Côte d’Azur et la péninsule Ibérique.

Tout au long sa vie cet artiste doué suit une chemin solitaire, fréquentant divers milieux artistiques mais restant indépendant. L’influence des Espagnols sur son œuvre est certes déterminante, celle de Delacroix, de Manet, de Puvis de Chavannes puis des Impressionnistes ne l’est pas moins, prouvant ainsi qu’il participe aux courants novateurs de son temps. Pour faciliter son admission au Salon, Briguiboul a abordé des thèmes mythologiques et bibliques sujets de prédilection du jury de sélection. L’artiste excelle également dans les portraits : il a le culte du modèle dont il restitue remarquablement l’individualité.

Une certaine idée de la liberté le pousse, après la chute de l’Empire, à s’engager comme Manet dans la garde nationale où son courage lui vaudra d’être nommé Chevalier de la Légion d’Honneur

Nourri de culture humaniste, il évolue dans une société opulente, ouverte à la création artistique et musicale représentée par sa femme, remarquable pianiste virtuose. Le Second Empire chargé de l’apparat engendré par sa prospérité économique est aussi une ère de tolérance et d’ouverture intellectuelle qui permet l’épanouissement de la créativité. Les rencontres, les échanges entre artistes et écrivains créent un climat de profonde solidarité et d’amitié solide. La résurgence vers 1870 de l’esprit révolutionnaire, sous-jacent durant tout le XIXe siècle, craquelle chez les peintres le respect des conventions et des contraintes et se traduit par un refus du conformisme.

Marcel Briguiboul apparaît dans sa vie et dans son œuvre, comme un homme de son temps, ouvert aux idées nouvelles et attaché aux valeurs traditionnelles. C’est à Castres, terre de ses ancêtres, qu’il choisit de vivre et de s’installer après ses voyages.

En léguant ses collections à la cité, sa famille attachait son nom à celui tant admiré de Francisco Goya qui, avant Manet, fut le premier des modernes, elle lui rendait hommage.

Élisabeth Cazenave

Bibliographie

Catalogue, Marcel Briguiboul 1837-1892, Musée Goya, Castres, 1994,.

Élisabeth Cazenave, L’Afrique du Nord dans les musées de province, Bernard Giovangeli Éditeur, Association Abd-el-Tif, Paris, 2004.