Notre dossier : enseignants en Kabylie (2e partie)

Mouloud Feraoun : L’école du village, un haut lieu où l’on envoie les enfants pour qu’ils deviennent meilleurs…

Mouloud FERAOUN, instituteur et écrivain, nait à Tizi-Hibel, commune de Fort National, le 8mars 1913.   Boursier en 1928, fait la connaissance d'Emmanuel Roblès.
Il est nommé à l'école de Tizi-Hibel. Directeur du Cours Complémentaire de 1952 à 1957. Il intègre le Conseil municipal de Fort National, en 1950, en tant qu'adjoint aux affaires scolaires et aux actions sociales, sur la liste Frapolli. Victime de l'OAS, en Mars 1962, sept ans après l'assassinat par le FLN, en août 1955, de son ami Marcel Frapolli.

L’instituteur du bled

"L'instituteur du bled, qu'il soit d'origine indigène ou métropolitaine,  (présente)  suffisamment de traits communs pour caractériser ce personnage. Ils n'ont rien de particulier, tout comme leurs élèves, mais ils vivent dans des conditions particulières et celui qui était venu sans enthousiasme est devenu très vite un modèle. Il goute les joies du bon ouvrier, il comprend qu'il est utile, il s'attache à ses enfants et n'est pas pressé de partir.
Il fallut soigner les malades, écrire et lire des lettres, dresser des actes, arbitrer des conflits...
Le bled marque pour toujours (ses instituteurs), même s'il existe un inconfort. On ne trouve jamais grand chose sur place; il faut aller s'approvisionner à un marché, souvent lointain, se déplacer pour voir le médecin, le pharmacien, l'inspecteur, le hakem...
 

Les pionniers

Nous avons eu nos pionniers, nous sommes les héritiers d'un passé que les montagnards n'oublient pas et qu'ils nous rappellent lorsqu'ils constatent que nous nous en écartons; ne disent pas qu'ils furent des apôtres  mais que ce furent d'honnêtes gens, toujours prêts à rendre service, des savants qui avaient bien vite gagné l'admiration, l'estime et le respect.
Ils réussirent ce prodige de faire de l'école du village un haut lieu où l'on envoie les enfants pour qu'ils deviennent meilleurs, le temple d'une religion nouvelle qui n'exclut pas l'ancienne, car elle s'adresse au cœur et à la raison, se sert du langage humain et enseigne la vérité humaine.
 

Les écoles

Certaines régions de Kabylie eurent des écoles primaires dès que les lois scolaires de la troisième république furent appliquées.
(Aujourd'hui) il existe de belles écoles en Kabylie! Des écoles somptueuses, toutes neuves... et alors le blédard s'adapte au confort et y prend gout.
Notre existence  aujourd'hui est plus facile. Nous récoltons les fruits du travail de notre ancien, ceux du jardin qu'il a créé et qui bien souvent nous délaissons, comme ceux de sa classe méthodique, disciplinée et sévère qui lui a valu cette réputation d'austérité quasi sacerdotale.

L'instituteur prend la photo de son école en terre d'adobe, avec ses élèves et sa femme au centre (photo de la grand-mère de Mme Poyetton-Jousselin)

Tout cela donne une allure nouvelle à l'école du bled, qui rajeunit au lieu de vieillir. Elle n'est plus un temple de sagesse mais elle est certainement une ruche active, qui déborde joyeusement aux alentours, se mêle davantage à la vie du paysan, amusé et ravi. Car ce paysan est un ancien élève qui aime toujours son école et respecte la mémoire de son maitre.

L'enseignement

Les écoliers du bled sont de vulgaires écoliers. Ils n'ont rien de particulier. Nos programmes sont ceux de toutes les classes primaires, nous préparons le même certificat, le même concours des bourses, le même examen de passage. La fusion a été réalisée. Il ne subsiste qu'une classe spéciale de tout-petits qui ne savent tien. C'est la classe d'initiation. Classe difficile et passionnante où l'on doit apprendre à parler. C'est là que triomphe la bonne vieille méthode de langage: la méthode directe, concrète active, minutieusement élaborée et enseignée à (l'école normale de) Bouzaéra.

extraits  de M. Feraoun, JOURS DE KABYLIE, Editions Baconnier (pages 129 à 136)

Jean-Pierre Frapolli

Extrait du Mémoire Vive n°63