Une inspiration pour Camille Saint Saëns : ses séjours à Alger. Partie 2

PARTIE 2

 

Le Musée-Chateau de Dieppe, ville de ses origines paternelles, en Normandie, conserve de nombreux documents et souvenirs sur Saint Saëns.

 

Le deuxième séjour à Alger, en«  téléportation » ou en télétravail! (1880)

Saint-Saëns effectua 19 séjours à Alger mais il y en a un en plus ou tout en étant physiquement présent dans les brumes de Boulogne-sur-Mer, il était dans son esprit à Alger. C'est ce séjour de 1880 où il finit de composer sa Suite Algérienne op.60 avec le sous-titre « Impression pittoresque d'un voyage en Algérie »; avec la Manche et la mer du Nord devant lui, il est néanmoins à Alger et à la Pointe Pescade !  Il avait déjà composé un mouvement à Paris l'année précédente ; à Boulogne, il compose trois autres mouvements prélude.

En vue d'Alger : du pont du navire, encore secoué par une longue nuit, on découvre le panorama de la ville d'Alger on perçoit les bruits variés qui se mélangent (tous les arrivants ont ressenti cette impression).

Rhapsodie mauresque : dans un des nombreux cafés maures de la vieille ville, les Arabes se livrent à leur danse coutumière, tour à tour lascive ou effrénée, au son des flûtes et des tambourins

Rêverie d'un soir. À Blida : sous les palmiers, dans la nuit parfumée on entend au loin un chant amoureux et le reflet caressant d'une flûte.

Marche militaire française. De retour à Alger : dans le pittoresque des cafés maures, voici que s'entend le pas redoublé d'un régiment français, avec une musique dont les accents contrastent avec les mélodies langoureuses de l'Orient.

Il déclarait : "Je produis des œuvres pour accomplir une fonction de ma nature comme un pommier produit des pommes."

 

 

Le troisième séjour (1883):

Empruntons encore au site Alger–roi :

Mars 1883, aussitôt après les premières représentations d'Henri VIII dont la préparation avait été pour l'auteur un long calvaire, le Docteur Paul Reclus, inquiet des progrès d'un début de phtisie diagnostiquée depuis quelques mois, ordonna avec autorité le repos complet. C'était l'occasion qu'attendait le Maître « Alger, décida-t-il, Saint Eugène et la Pointe Pescade ! »

 En fait, il en profite pour faire des excursions, à Biskra notamment d'où il ramène une portée de musique arabe. C'est une époque où les artistes s'enthousiasment pour cette nouvelle province ; Renoir est venu l'année précédente, ramenant entre autres le célèbre tableau « le ravin de la femme sauvage », aujourd'hui au musée d'Orsay. En allant de la colonne Voirol au jardin d'Essai, qui n'a pas ressenti, à cet endroit, l'étrange impression d'entendre hurler cette femme dont l'enfant, dans la légende, s'était égaré.

Saint Saëns sera fasciné par l’évolution de cette ville sur les plans spatial, culturel, architectural et autres ;il se promène, on lui montre rue Scipion, adjacente à la rue Bab Azoun, l’immeuble des Ecoles Supérieures de Médecine, de Lettres et de Sciences, bourgeons de la future université. Les professeurs disaient que la rue était si étroite qu’ il suffisait d’un bourricot avec ses 2 couffins pour arrêter professeurs et élèves.

Saint Saëns écoute aussi les potins ; on lui montre, rue Jenina, l’hôtel ou Jules Lemaitre, alors prof à l’Ecole supérieure de Lettres, connut son infortune conjugale, ce dernier se vengea après !

 

Le quatrième séjour (1887–88)

Côté architecture, l’Armée avait d’abord voulu désenclaver la Casbah, percer des rues, créer de grandes places en périphérie et une enceinte française à la place de l’enceinte ottomane ; lors de son voyage en 1865, Napoléon III , après avoir vu Rigoletto à cet Opéra d’Alger,arrêtera le lendemain les expropriations, même indemnisées, dans la Casbah. Or, à l’époque ottomane, les élites turques trouvaient souvent cette ville trop grouillante et bruyante ; elles se réfugièrent dans un faubourg désert appelé aujourd’hui Mustapha, et s’y firent construire de magnifiques villas. Avec l’influence du préfet Haussmann à Paris, et les coups d’arrêt de Napoléon III, les architectes qui, dès les années 1850, avaient déjà percé ces rues dans la Casbah, imaginèrent une ville à Mustapha, un laboratoire de la modernité, qui allait devenir une commune après 1870 avant d’être rattachée à Alger au XXème siècle ; le centre-ville se déplacera à l’Est, au grand dam des propriétaires de la Casbah.

Arrivée de Napoléon III à Alger - 1865

En 1830, on trouvait dans la partie supérieure de Mustapha, quelques dizaines de magnifiques domaines ottomans, comme par exemple la Villa d’été de Mustapha Pacha, qui fut dey de 1798 à 1805 et finit assassiné par un janissaire, au-dessous la Villa Djenan el Khiat, maison de campagne de la fille du dey Hussein Pacha (le dernier dey en 1830), acôté le Palais d’été, villa du ministre des haras du Dey, et le Bardo, qui deviendra musée et dont on connait mal le propriétaire à l’époque. Et plus bas d’immenses terrains de manœuvres pour les Janissaires, on y installera plus tard, entre autres, le grand hôpital de Mustapha.

 Saint-Saëns suivi la tendance, et vécu l’expansion de la ville ; il devait aller se promener hors les murs, vers le faubourg de l’Agha par la rue de Constantine ou il admirait le Palais de Justice de style néoclassique mais annonçant déjà l’éclectisme ; il devait aussi monter à l’est vers la rue Michelet ou le boulevard de Bon Accueil qui deviendra en 1927 boulevard Saint Saëns.

A l’indépendance, les nouveaux dirigeants voulurent honorer les chefs d’Etat étrangers qui les avaient aidés et le boulevard devint  Mohammed V ; si le conflit de Sahara occidental avec le Maroc avait éclaté plus tôt, le boulevard serait peut être resté Saint Saëns plus longtemps !

Une pareille mésaventure arriva aussi à Salah Bouakouir, polytechnicien, grand commis de l’Etat, chef d’orchestre du Plan de Constantine pour le développement économique de l’Algérie ; après son décès accidentel avant l’indépendance, la ville l’honorât en donnant son nom au chemin puis boulevard du Telemly, au-dessus du bd Saint Saëns ; .A l’indépendance, le boulevard devint Krim Belkacem ; les amis de Salah Bouakouir s’offusquèrent timidement et il retrouva son nom à un petit bout du boulevard ; Saint Saëns n’eut pas cette chance d’autant que sur le Telemly, un parc avait porté son nom, rebaptisé MontRiant quand il avait eu droit à un boulevard, et devenu Parc de Beyrouth aujourd’hui.

Telemly (a gauche, on devine le parc Saint Saens devenu Montriant.) Bd Saint Saëns et rue Michelet, (le compositeur a habité au 81). Avec l’av Debussy qui les relie vers le bas du plan, on va vers le Parc De Galland, en haut vers l’Université et la Grande Poste.

 

À cette époque Mustapha a doublé sa population, comme Alger, Depuis les années 1870 ; elle compte 37000 habitants dont 3000 musulmans et 6000 étrangers aux 2/3 espagnols contre 100000 habitants à Alger dont 25000 musulmans et 20000 étrangers avec toujours 2/3 d’espagnols. Alger (avec Mustapha qui lui sera rattaché en 1904) doit faire face à un afflux de gens de l’intérieur, de métropole, d’Espagnols, d’Italiens,… Cela pose des problèmes d’urbanisme et le pittoresque des demeures d’autrefois et le patrimoine sont de plus en plus menacés, surtout dans la Casbah et autour.

Quoiqu’ il en soit, en 1887, Saint Saëns se réinstalla toujours à la Pointe Pescade avec le livret d’Ascanio ; le 17 novembre, il commence la musique ; en janvier suivant, il s’installe à la villa Sintès, au quartier d’Isly, entre ce qui sera la Grande Poste et Mustapha ; il n’en partira qu’au début de l’été, terminant sa pièce à Paris. Une partie du livret s’inspire de l’aventure de Charles Quint, empereur germanique, aussi roi des Espagnes, ennemi de François 1° ; excédé par le piratage barbaresque, il fit le siège d’Alger en 1554, en vain. Plus tard, une plaque à l’entrée de la rue Bab Azoun indiquera « à quelques pas d’ici, le 25 octobre 1541, Pons de Balaguer dit Savignac, porte étendard des chevaliers de Malte dans l’armée de Charles Quint contre Alger, vint planter sa dague dans la porte d’Azoun en disant : nous reviendrons » Un tableau de Raffet s’est inspiré de ce geste. Et Saint-Saëns pouvait deviner, par exemple, au 11 rue Bab Azoun un ancien bagne des Chrétiens ; il avait dû être passionné par ces récits, comme le fait que Cervantès, peu après le passage de Charles Quint, fût 5 ans captif à Alger.

 

(Synthèse dans le prochain Mémoire Vive)

Jean Pierre Marciano

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