Le vin en Algérie : L'histoire de "Sidi Brahim"

Vin_Sidi_Brahim

La Culture de la vigne et l’élaboration du vin en Afrique du Nord remontent à la plus haute antiquité. Une mosaïque du musée de Cherchell nous montre des vendangeurs foulant des grappes dans une cuve en pierre d'où le jus s'écoule dans deux grandes amphores en terre cuite.

Au temps de l'Algérie française, la vigne s'étendait sur environ 350 000 hectares donnant des récoltes moyennes d'environ 15 millions d'hectolitres par an. Dans l'ensemble, la culture de la vigne et l’exportation du vin d’Algérie — il s'exportait sur la France un million d'hectolitres en moyenne par mois - assuraient plus de 60 % de l'activité totale du pays. D'où l'importance qu'avait pris le négoce des vins en Algérie.

Un de ces négociants s'est fait particulièrement remarquer : André VIGNA. Fils de Paul VIGNA, administrateur de commune mixte, il était né a Alger en 1898. II fit ses études secondaires comme pensionnaire au lycée de Ben Aknoun. Puis continua à l'École Supérieure de Commerce d'Alger d'où il sortit premier de sa promotion en 1917. Mobilisé à la fin de la Grande Guerre, il fit son service militaire au 20ème Dragons en occupation en Allemagne. De retour à Alger en 1920, il entre dans la vie active et fait ses premières armes dans la maison de vins de son beau-père, Pierre SORENSEN, pour monter ensuite sa propre affaire en 1928.

Ses activités consistaient à acheter des vins à la propriété en sélectionnant les meilleurs, soit dans le Sahel et la Mitidja, soit dans les vignobles de montagne réputés pour leur qualité, dans le département d'Alger à Médéa et Miliana où les moines de Tiberine élaboraient un excellent vin, et bien sûr à Mascara dans le département d'Oran.

André VIGNA s'était investi dans ces vins de montagne. II sélectionnait ceux qui, dans l'année même ou après plusieurs années de vieillissement, pouvaient constituer tantôt la bonne bouteille, tantôt la grande bouteille de tradition. C'est pour cette dernière grande bouteille de tradition, originaire de Mascara, qu'est né le Sidi Brahim en 1930 sous sa marque déposée. C'était bien sûr un rappel du combat héroïque, le 25/09/1845, d'une poignée de chasseurs contre les troupes de l'émir Abd-el-Kader au marabout de Sidi Brahim à quelques kilomètres au Sud de Nemours.

 

Comment le Sidi Brahim fut-il commercialisé à ses débuts ? II faut rappeler que les négociants algériens assuraient l'essentiel de leurs activités auprès du négoce de gros en Métropole.

Les vins algériens étaient exportés soit en vrac par tankers, soit en fûts (demi-muids de 630 l) pour les vins supérieurs.

Le Sidi Brahim fut à ses débuts expédié en demi-muids auprès des négociants grossistes métropolitains qui le conditionnaient en bouteilles pour être revendu auprès des détaillants. La grande distribution n'existait pas encore.

Survint alors la deuxième guerre mondiale avec toutes les difficultés de communication avec la Métropole que nous avons connues. Donc, plus d'exportations de vins sur la France et comme il fallait survivre, les négociants d'Alger et d'Oran s'attaquèrent au marché local. Chacun proposait sa bouteille. Qui n'a pas connu les Royal Kebir, Algeriana, Targui, Sénéclause et bien sûr le Sidi Brahim? II était embouteillé et distribué dans toute l'Algérie par les Ets Marcé d'Alger, en même temps du reste que deux autres marques qu'André VIGNA avait mises dans le circuit : Vieil Arpent et Smalah.

Lorsque la deuxième guerre mondiale prit fin, cette activité se poursuivit sur le marché local, tandis que le négoce des vins algériens reprenait son cours avec la Métropole, le tout jusqu'à l’indépendance de 1962.

Entre-temps, et dès 1946, André VIGNA avait organisé à Saint-Ouen un entrepôt de stockage et de distribution sur Paris et la Région Parisienne où le Sidi Brahim faisait ses premiers pas.

De même qu'André VIGNA avait pris la mesure des problèmes que posaient les événements d'Algérie, il lançait dès 1957 un projet d'installation de chai de stockage et d'embouteillage à Chalon-sur-Saône en Bourgogne. Le chai de Saint-Jean-des-Vignes à Chalon fut inauguré le 9 février 1959 par André VIGNA entouré de ses deux fils Jacques et Philippe et de son gendre Claude MERCIER. Toute la profession des vins en France y était représentée.

Ce chai fut autofinancé sans aucune aide des pouvoirs publics et pas davantage quand il fallut, dès 1962, rapatrier le personnel des vins VIGNA et le répartir entre Chalon et Paris.

C'est alors que commença la véritable aventure du Sidi Brahim. Le circuit des négociants grossistes allait se trouver dépassé par les grandes enseignes de distribution. Et c'est en 1963 que le coup d'envoi fut lancé par Carrefour à Sainte-Geneviève-des-Bois. André VIGNA avait compris l'intérêt du système qui allait vite montrer son efficacité auprès du consommateur.

Secondé par ses deux fils et par son gendre, André VIGNA fit référencer le Sidi Brahim de 1963 à 1970 auprès des principales grandes enseignes et l'on put se le procurer dans toutes les grandes surfaces de France. Nos compatriotes pieds noirs en furent les principaux clients. A Paris et dans la Région parisienne les restaurants à couscous fleurissaient et le Sidi Brahim aussi.

Le chai de Chalon-sur-Saône, dirigé par son fils Jacques, devint un centre d'embouteillage important. La source d'approvisionnement restait toujours l'Algérie par l’entremise de son organisme d'état.

A partir de 1970, le chai de Chalon conditionnait entre 800 000 et 1 million de bouteilles de Sidi Brahim par mois, soit entre 10 et 12 millions de bouteilles par an. Le marché français représentait la plus grosse part des ventes mais le Sidi Brahim avait également des débouchés à l'exportation en Grande Bretagne, Allemagne, Autriche, Suisse et USA, mais surtout en Scandinavie où les monopoles d'état de Suède et de Finlande importaient entre 100 et 150 000 bouteilles de Sidi Brahim par an chacun.

Ce fut une belle réussite qui couronnait la carrière d'André VIGNA récompensée aussi par la Croix de chevalier de la Légion d'Honneur.

Retiré à Paris et amateur d'arts, André VIGNA avait réuni une très belle collection de peintres orientalistes. Mais surtout, il avait rassemblé une des plus prestigieuses collection de porcelaines de Meissen et de Vienne dans "le goût turc" qui n'avaient rien à envier aux mêmes porcelaines se trouvant au musée du palais de Topkapi à Istanbul.

André VIGNA est décédé à Paris en février 1978 dans sa 80ème année.

Voilà résumé en quelques lignes l'histoire du Sidi Brahim qui fut une formidable réussite de son fondateur, un autre pionnier de l'Algérie française.

Jacques VIGNA

Article de Jacques VIGNA, extrait du Mémoire Vive n°49 (3e et 4e trimestres 2011).