Les amis de Marquet : 1ère partie

Le CDHA s'associe à l'exposition consacrée à Albert Marquet, Peintre du temps suspendu, présentée au Musée d'Art moderne de la Ville de Paris du 25 mars au 21 août 2016 en vous proposant en complément un texte Albert Marquet et ses amis en Algérie, objet d'une exposition au Musée Joseph Déchelette à Roanne en 2003-2004.

Cet homme timide est un peintre autoritaire. Il se sert pour nous convaincre d’arguments simples que nous acceptons toujours tant ils nous paraissent de suite solides et bien équilibrés. Car Marquet n’offre jamais. Il impose, il sait imposer et si, parfois nous voulons réfléchir, discuter, nous dégager de son emprise, ses raisonnements se succède bientôt si serrés qu’il n’est plus aucune place pour nos doutes et pour nos contradictions. Sa logique nous défie sans cesse de refuser notre assentiment. Il affirme. Construire avec cette sérénité, c’est affirmer sans cesse et nous ne savons résister à qui sait être fort avec cette expérience. Georges Besson, Marquet, 1919

LES AMITIÉS D’ALBERT MARQUET EN ALGÉRIE, Artistes et Mécènes, 1920-1945

Dans les années vingt, l’Algérie est devenue une terre familière aux artistes français.

Un de ceux qui y peint le plus fréquemment est Albert Marquet qui a laissé du Port d’Alger et de celui de Bougie des images d’une rare subtilité. Sa technique a séduit beaucoup de jeunes artistes, et l’on ne saurait définir les caractéristiques de « l’École d’Alger », sans mentionner la part importante de son influence.

Poussé par le démon du voyage, il part à la conquête de ciels nouveaux sur toutes les rives de la Méditerranée. Le succès de Marquet n’est pas dû à ce qu’il peint juste, mais à ce qu’il reproduit exactement tous les détails du paysage choisi. Il observe le monde et les gens de son balcon, dans ses pantoufles. Son œuvre est pleine de netteté, de clarté, de solidité, de probité. Il a créé un type de paysage. Marquet possède la lumière comme personne, il a le secret d’une lumière pure, intense, dont l’éclat uniforme et sans couleur emplie tout le ciel.

Albert MARQUET, Bougie : le port avec fumée, collection particulière.

Louis Mainssieux qui le rencontre en Algérie constate : « Il devait compter sur les grues et les bateaux de sa fenêtre dans le port d’Alger tandis que Madame tenait la caisse et enregistrait les entrées et les sorties. Il eut du pain sur la planche lors de l’occupation américaine avec les milliers de navires qui firent escale sous les fenêtres du boulevard Carnot ! Pendant plusieurs années, il fit les mêmes sujets, effets du soir, effets du matin Cela dans tous les formats et pour toutes les bourses. Par la force des choses, il devint le peintre de la « libération ». Ce qui correspondait d’ailleurs à ses idées ou tout au moins à celles qu’on lui avait fait adopter ; il est vraiment un exemple de constance et d’impassibilité inébranlable devant toutes les fantasmagories de l’exégèse de l’art dit « moderne », continuant imperturbablement son petit bonhomme de chemin. En voilà un qui ne fut guère touché par le feu d’artifice de toutes les théories ». [1]

Ces théories avant-gardistes, « ces fantasmagories de l’exégèse », échappent également aux artistes d’Algérie qui reconnaissent en lui fraternellement, un maître

 

Les voyages successifs de Marquet en Algérie de 1920 à 1946

Le premier voyage de Marquet en 1920 à Alger et dans le Sud algérien lui est conseillé par son médecin et son ami Élie Faure. À cette époque, il occupe un meublé au-dessus du port, puis s’installe ensuite au Royal Hôtel.

Comme les artistes venus de métropole, il désire confronter ses idées avec la réalité des paysages et des hommes :

La femme de son galeriste Druet le recommande à Louis Meley, grand mécène algérois. Il rencontre chez lui de très nombreux artistes qui deviendront ses amis, et dont certains subiront son influence.

Louis Meley l’accueille à El-Bahari,[2] dans sa villa d’Aïn-Taya.

L’artiste se souvient de cette période brillante où il rencontre chez lui : le bâtonnier Rodolphe Rey président de la Société des amis du musée d’Alger, Léonce Bénédite conservateur du musée du Luxembourg, le secrétaire général du gouverneur Perier, le sous-gouverneur de la Banque de France Émile Moreau, de Frédéric Lung, Maurice Denis, l’historien d’art Schneider, Jean Alazard, Suréda, d’Assus et les boursiers de la villa Abd-el-Tif « ces jeunes qui lui procuraient l’allégement de courtes récréations. ».

De gauche à droite : Aimée Launois, Jean Launois, Maurice Bouviolle, Marcelle et Albert Marquet à Laghouat, 1929.

En 1921, il revient au Royal Hôtel et part dans le Sud avec Marcelle Martinet et Jean Launois, Marquet remarque alors : « Il a tout pour lui : une extraordinaire sûreté de main et le don des couleurs ».

C’est encore Louis Meley qui grâce à ses relations, les aide à planifier leur voyage vers Djelfa, Laghouat, Ghardaïa (où ils trouvent refuge dans un bordj militaire), Touggourt et Biskra.

Marcelle Marquet est d’une aide précieuse [3] : « Née en Algérie, habituée aux Arabes, je leur servirai d’intermédiaire dans les relations qu’ils seraient amenés à nouer. Je trouverai le mot qui conviendrait, je les aiderai à interpréter un geste ou un silence évitant ainsi les gaffes ou les malentendus. » Puis ils font route vers Ghardaïa en autobus sur une route de pierraille « calcinée, sous un soleil sans merci », ils font une pause à Berriane « jeune et fraîche oasis », Ghardaïa est là « blanche et nue comme un os », Marquet découvrit là, une lumière inexorable et des ombres d’une densité nouvelle ». Puis ils atteignent Touggourt « brûlé de sirocco et enfin Biskra.

En 1922, il s’installe Maison Venot, 3, boulevard de France lieu de rendez-vous de nombreux artistes dont Alphonse Rey, un peintre du Midi. Il part vers Touggourt puis fait une extension à Sidi-bou-Saïd en Tunisie. En 1924, marié depuis un an à Marcelle Martinet, il occupe la villa Miramar (chemin Laperlier) puis l’Hôtel de la Régence, Place du gouvernement à Alger. Les jeunes mariés reviennent par le Maroc et l’Espagne. En 1925, on le retrouve à l’Hôtel d’Orient à Bougie, il repart vers les oasis jusqu’à Bou-Saâda.

Suivent chaque année des séjours en Algérie sauf en 1931 ; il occupe la villa Dar-el-Aurida, rue Delcassé (jardins St Raphaël). Marquet s’installe en 1940 en Algérie, pendant la guerre pour s’y réfugier et assiste au débarquement des Américains en Afrique du Nord, sujet de nombreux tableaux. Il achète en 1941 la maison Djenan Sidi-Saïd près d’Alger.

Albert MARQUET, Place du gouvernement, Metz, Musée de la Cour d’Or.

Le climat artistique

Les années vingt marquent l’époque où s’ouvre un âge d’or favorable à l’épanouissement des arts qui se prolonge jusqu’en 1940, il correspond à l’expansion d’un orientalisme moderne. Cette génération d’artistes est éprouvée, certains paient un lourd tribut à la guerre, puisqu’ils vivent les deux conflits mondiaux, 1914-1918 et 1940-1945.

Alger est alors une des villes où tout au long de l’année on voit de la peinture. Il n’est pas un peintre de passage, français, espagnol, italien qui n’expose, en quelque salle fréquentée, les toiles qu’ils ont rapportées de Touggourt ou du M’Zab.

Les fêtes du Centenaire de l’Algérie en 1930, célébrées de façon éblouissante témoignent de la confiance en l’avenir. L’Algérie se dote d’une structure favorable au développement des Arts. On inaugure des musées. Le pays œuvre en faveur de sa propagande en France et à l’étranger, sur les plans touristique, économique et culturel.

L’art comme la littérature veut rompre avec le poncif oriental qui produit des œuvres sans âme et sans pensée. Le public éduqué, ouvre les yeux et la couleur locale ne lui suffit plus. Les expositions se multiplient à Alger, cantonnées encore trop souvent dans des salles obscures.

Les salons à Alger sont nombreux, attirent une foule bigarrée faite à la fois de connaisseurs et de nouveaux riches, qui « iront droit reconnaître les chromos, illustrations des boîtes de nos marchands de dattes », selon la presse. Parmi les salons les plus visités, le salon d’Hiver, le salon des artistes Orientalistes algériens, le salon des Indépendants, le salon de la Société des arts et des Lettres d’Algérie fondé en 1933.

Jean Bouchaud, Le patio de la Villa Abd-El-Tif, collection particulière.

C ‘est à l’occasion de ces manifestations que Marquet noue des relations, il est le plus souvent l’hôte de la villa Abd-el-Tif, située sur les hauteurs boisées du Jardin d’essai, entre le quartier du Hamma et celui du Ruisseau, dans un site admirable. Charles Jonnart, gouverneur général de l’Algérie ouvre cette villa Médicis algérienne en 1907 et la met à la disposition des artistes peintres boursiers du ministère des Beaux-Arts. Cet ancien haouch de campagne du XVIIIe siècle, dans un cadre oriental particulièrement attrayant, accueille quatre-vingt-sept artistes. Marquet y rencontre ceux que l’on a coutume d’appeler Les Abd-el-Tif, entre 1920 et 1946 soit une cinquantaine d’entre eux. Ces jeunes artistes sont ouverts aux tendances indépendantes de l’art moderne et pratiquent un « art du juste milieu ». Sans contrainte académique, les Abd-el-Tif, jouissent d’une entière liberté d’action. Cette Maison algérienne des artistes est un lieu favorable aux expériences les plus originales où les Abd-el-Tif choisiront de renouveler leur vision et d’épurer leur style. La rencontre avec Albert Marquet y a sans doute contribué.

L’art à Alger demeure toujours une importation de la métropole. L’orientalisme change de caractère comme l’Algérie elle-même. Les grands peintres modernes, ceux que la gloire a déjà consacrés se retrouvent aux terrasses des grands cafés d’Alger, Marquet, Friez, Camoin y côtoient les peintres algériens, Léon Carré, Étienne Chevalier, Augustin Ferrando, Marius de Buzon.

 

Les expositions

Marquet n’exposera que rarement à Alger qui reste pourtant son lieu de résidence secondaire après Paris pendant vingt-cinq ans.

En 1926 on trouve un bel ensemble d’œuvres d’Albert Marquet au Salon d’Hiver, il expose un Coin de port, et la critique remarque : « La sincérité de sa vision a son importance dans l’histoire de notre peinture orientaliste, une importance aussi grande que les souvenirs orientalistes de Delacroix, de Chassériau ou de Dehodencq. À ses côtés, on remarque trois paysages de Bonnard et les œuvres de Asslin, Cauvy, Suréda, Carré, Buzon, Antoni, Bertrand, Bouviolle, Assus, Marie-Gautier, Benjamin-Constant, Chevalier, Frailong, Rousseau, Rigal, Bouchaud, Corneau, Berthommé St André. »

C’est en 1927 qu’il retrouve Louis Mainssieux dans le Sud algérien, en 1929 à Laghouat il rencontre Maurice Bouviolle, le peintre du M’Zab.

Fêtant ses colonies, célébrant ses victoires de la Grande Guerre, la France de la IIIe République ne peut pas ignorer le premier centenaire de sa présence en Algérie, magnifique prélude à l’exposition coloniale de Vincennes de 1931. L’Algérie prend conscience de son passé. Deux expositions se tiennent pendant deux mois au Musée des Beaux-Arts dont l’une évoque l’influence de l’Algérie sur la peinture française. Marquet expose à l’exposition concurrente du centenaire de l’Algérie, au Petit-Palais à Paris.

Les Expositions artistiques de l’Afrique française, à partir de 1928 s’organisent dans les principales villes de L’Afrique du Nord, Tunis (1928), Casablanca (1929), Alger (1930), Tunis (1932), Fès (1933), Alger (1934), Oran, Constantine et en métropole dans les villes concernées par leurs relations avec le Maghreb. Elles sont destinées à offrir au public un bilan sincère des tendances diverses qui animent les peintres qui vivent en Afrique du Nord et ceux qui viennent y chercher leur inspiration. Les exposants habitent les pays où ils travaillent. L’orientalisme change alors de caractère comme l’Orient lui-même.

L’Exposition de 1930 s’ouvre à Alger dans le Hall de la Maison de l’Agriculture algérienne, boulevard Baudin, Marquet expose, une Vue d’Alger (propriété de M. Martinet) et La Place du gouvernement (propriété de Frédéric Lung)

Albert MARQUET, Vue des collines d’Alger, collection particulière

Les Expositions de l’Association française d’expansion et d’échanges artistiques à partir de 1928 vont favoriser les échanges, elles dépendent de la direction des Beaux-Arts et des Affaires étrangères et s’ouvrent dans les villes suivantes : Le Caire, Vienne, Paris, Bucarest, Bruxelles, Naples, La Haye, Genève, Berne, Lisbonne, Marrakech… Jean Alazard, futur conservateur du Musée national des beaux-arts d’Alger, va utiliser cet outil remarquable pour promouvoir l’art en Algérie.

Marquet est présent à l’exposition d’art français du Caire en 1928.

À Prague,[4]en 1930 la manifestation est soutenue par l’Institut français Ernest Denis et le gouvernement général de l’Algérie. Les œuvres de Marquet sont au nombre de six, dans la section contemporaine. Cette manifestation regroupe également cent cinquante peintures, sculptures, dessins et médailles. Les Abd-el-Tif y figurent ainsi que, Claro, Adrey, Fernez, Hemche, Mammeri, Racim représentants de l’École d’Alger ainsi que les représentants des tendances de l’École de Paris Matisse, Camoin, Carlos Reymond, Mainssieux, Mondzain… Ces expositions s’organisent sous le titre : L’Orient et l’Algérie dans l’art français au XIXe et XXe siècles.

On retrouve Marquet en 1931 à Bruxelles et en 1932 à Vienne où il participe à l’Exposition L’Algérie vue par les artistes français contemporains.

Au musée Toma Stélian, de Bucarest en 1933, une exposition d’œuvres inspirées par l’Afrique du Nord propose ses œuvres et différents aspects des Ports d’Alger et de Bougie. Matisse, Dufy, Dufresne, Friez, Coubine montrent avec lui, ce que la peinture parisienne doit à l’exotisme algérien.

En 1934 s’ouvre la VIe exposition de l’Afrique française, elle se tient dans le hall de la Maison de l’agriculture à Alger et compte trois cents envois. On peut admirer sur les cimaises Le Port d’Alger par temps gris et Le Port d’Alger, quai d’embarquement, d’Albert Marquet.

Albert MARQUET, Port d’Alger par temps gris, Saint Tropez, Musée de l’Annonciade.

La VIIe exposition en 1935[5] se tient à Paris aux Arts Décoratifs, un hommage particulier est rendu à Marquet qui occupe le centre du panneau principal avec un Port de Bougie, propriété de la galerie Druet. « La décision et la délicatesse, la justesse des tons et un frais lyrisme s’unissent ici pour un chant émouvant et pur », remarque Jacques de Laprade. Sur les panneaux voisins sont exposées les œuvres de Jacques Simon, L’Oasis de Carré, de Buzon, Maguet, Bouneau, Levrel, Dufresne, Denier, Dubois, Rousseau, Bouchaud, Launois, Nivelt, Hambourg, Deval, Bascoulès, Clamens. Jacques de Laprade remarque : « Faut-il parler d’une école africaine ? Non pas. Mais M. Louis Hautecoeur – président de la Société des orientalistes français, assure avec raison sans doute, que quelques caractères communs unissent déjà les peintres de l’Afrique française. »

La première Exposition d’Art colonial que l’Italie organise à Rome en 1931 où Un Port et Un Jardin d’Alger de Marquet sont exposés obtient un tel succès que le gouvernement italien décide de la renouveler à Naples. Marquet présente Le pavillon des « Arts et techniques de l’Algérie » à l’Exposition internationale de Paris en 1937 offre une synthèse de l’activité moderne de ce pays. Les toiles et sculptures exposées démontrent en outre qu’il y a une École d’Alger, pleine de vie et d’accent À côté d’elle, on a fait une place à l’œuvre des anciens pensionnaires de la Villa Abd-el-Tif. Marquet est représenté par une œuvre La Baie d’Alger vue du balcon de Saint-Raphaël. L’artiste expose en 1938, à Prague et La Haye.

En 1939[6], à l’occasion d’une exposition Marquet, organisée par la Société des Amis des Arts, Salle Pierre Bordes à l’initiative de Richard Lopez et de Mme Barrucand, la femme du directeur du journal l’Akhbar, Marcelle Marquet remarque : « Alger est la seule ville où les expositions rapportent ». Une soixantaine d’œuvres donnent une idée complète de la carrière artistique de l’artiste, le but de cette manifestation est de diffuser l’exemple des maîtres de l’art moderne. Les collectionneurs Lung, Meley, Peyrissac et Martinet prêtent plusieurs toiles. G.S. Mercier écrit à cette occasion : « Il a gardé le secret perdu par tant d’autres, de savoir toucher les profanes et les initiés. »

La mobilisation des hommes en 1939-1940, le choc de l’agression à Mers-El-Kébir, la déchirure des morts et des prisonniers, la pénurie consécutive à l’embargo des alliés contre les tensions d’Outre-mer, laissent à l’arrière-plan les préoccupations artistiques. Le débarquement en novembre 1942 a remis l’Algérie dans la guerre. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, l’Algérie province de l’art français, amorce son autonomie en exportant ses créateurs et prend sa place dans l’art contemporain. Une École d’Alger, « filiale ensoleillée du génie français selon Jean Brune »[7] se modèle quelque peu sur l’École de Paris puisque les échanges artistiques s’intensifient,

Les circonstances ont permis de revenir à la tradition qui avait été si florissante, avant 1940, d’un Salon artistique nord-africain réunissant, chaque année, dans une des grandes villes nord-africaines ou dans les villes de métropole, concernées par les colonies les meilleures peintures, sculptures et gravures des principaux artistes d’Algérie, de Tunisie et du Maroc

La XIIe exposition artistique de l’Afrique française en 1941 au Pavillon de Verdun à Tunis invite Marquet. Il présente Alger, vu du boulevard Bru et Jardins d’Alger, deux cent soixante-quatre numéros sont au catalogue et les œuvres sont à vendre. L’Algérie s’exporte de plus en plus par ses artistes. La même année la galerie du Minaret à Alger lui réserve une exposition personnelle.

En 1943, s’ouvre à Alger, Salle Pierre Bordes, une exposition des œuvres offertes par Les artistes peintres et sculpteurs algériens à la souscription nationale pour la Résistance, Marquet en fait partie.

C’est à cette époque qu’il rencontre Hambourg et Assus, avec ce dernier, il travaille dans un local de l’Hôtel Terminus au coin du square Bresson et du boulevard Carnot, qui s’ouvre sur le port d’Alger, en 1945 il découvre l’œuvre de Marius de Buzon.

L’Algérie a pu organiser à l’étranger assez régulièrement des expositions. La tradition est reprise en 1947 par une exposition qui s’ouvre au musée de Berne, L’Orient et l’Algérie dans l’art français, Marquet triomphe avec deux vues du Port d’Alger, qui sont de sa meilleure veine. Puis Lisbonne, en 1950, le reçoit au musée national d’art ancien, à titre posthume, toujours avec la collaboration de l’Association d’action artistique.

Albert MARQUET, L’escadre alliée à Alger, Bordeaux, Musée des Beaux-arts

Les halls des grands hôtels à Alger, le Saint Georges, l’Aletti ou des édifices publics, le Mauretania, le hall d’Air France, la Maison des étudiants sont investis, ils recensent périodiquement l’activité prolifique des arts plastiques. Les galeries, Charlet, Colin, Comte-Tinchant, Romanet, le Nombre d’Or, renouvellent leurs expositions. La galerie les Vraies Richesses appartenant à l’éditeur Charlot le « médecin accoucheur » de la nouvelle expression littéraire et artistique, ami d’Albert Camus, est le lieu de rencontre des peintres et des écrivains.

La galerie Rivages, organise en mars 1951 une exposition rétrospective de Marquet à Alger.

Les lieux de confrontation intellectuels et artistiques sont nombreux et s’étendent aux villes de Bône et de Bougie.

Oran, la deuxième ville d’Algérie n’a rien à envier à Alger. Les années trente sont décisives pour l’accession du public oranais au go des arts plastiques. Les galeries se multiplient : Colline, dirigé par Robert Martin présente Marquet en 1941 et plus tard en 1960 l’inclut dans l’exposition des Fauves à l’abstrait.

 

Influence de Marquet

Si les artistes vers 1920-1925, confirment encore leurs références aux maîtres que sont Delacroix, Fromentin, Chassériau, Gauguin, Cézanne pour la peinture, la sincérité de la vision d’Albert Marquet a une importance plus grande dans l’évolution de leur mentalité.

Ce même amour de la nature, cet immense palais de la découverte, dans sa simplicité, les unit.

Le réel est pour Marquet le point d’appui. Ce maître qui pousse à l’extrême le souci de vérité dans un style un peu sévère impressionne les jeunes artistes qu’il côtoie en Algérie

L’Afrique maghrébine n’est plus pour les artistes vivant sur ce territoire, le pays des feux d’artifice et des Mille et Une nuits. L’orientalisme se renouvelle puisque les artistes accordent plus d’intérêt aux scènes de mœurs, à la vie quotidienne minutieusement décrite. Cette vision vécue, cette description sincère s’opère surtout grâce à de jeunes artistes, les Abd-el-Tif, qui seront les initiateurs de ce qu’on conviendra d’appeler L’École d’Alger, dernier rejeton de « l’orientalisme ».

La villa Abd-el-Tif devient le centre de l’école nord-africaine. Les jeunes boursiers rattachés ne sont plus rattachés au mouvement orientaliste, ils sont chargés de renouveler la vision d’un « Orient », jugé démodé. Concernés par les problèmes de la lumière, plus que leurs aînés, la nature devient pour eux, le cœur du débat. Certains parmi eux, qualifiés de « peintres de l’Algérie », choisissent ce pays comme terre d’adoption après leur séjour.

La perception de la lumière et sa traduction s’imposent aux artistes dès leur arrivée. Cette confrontation héroïque va s’exprimer dans un langage plastique nouveau souvent hérité du style moderne et novateur de Marquet.

Eugène Fromentin remarquait déjà en 1846 : « Ce pays échappe aux conventions, il renverse les harmonies dont le paysage a vécu depuis des siècles. Je parle de ce pays poudreux, blanchâtre, un peu cru dès qu’il se colore, rigide de formes, presque sans atmosphère appréciable et sans distance. »

La nouveauté de cette vision, ce « triomphe du gris », déconcerte la plupart des artistes, une perception neuve s’impose. Une nouvelle définition des couleurs où les tons vifs s’atténuent et s’associent à des demi-teintes devient le centre des perceptions nord-africaines de Delacroix à Bonnard en passant par Marquet et Matisse.

Camus, en natif du pays, est aussi plus tard l’admirable interprète de leurs préoccupations, lorsqu’il écrit dans L’Envers et l’Endroit[8] : « Les peintres qui sont allés en Afrique du Nord, savent bien que le soleil là-bas, tue les couleurs. La lumière débordante de l’Afrique écrase tout. Elle avale la couleur, la dissout dans une ébullition immobile et perpétuelle, blanchit un ciel que tout le monde croit bleu, mêle rouge au vert et rassemble enfin les complémentaires, dans une splendeur incolore. En consumant les ombres, elle brûle toutes les valeurs. Pour finir, tant de flamme, ne fait qu’une négation, et cette beauté n’est qu’un bûcher. »

Marquet dans cette aventure en a « forcer le secret », il fait réapparaître les couleurs mais transfigurées.

Albert MARQUET, Alger, vue de la Bouzareah, collection particulière.

Cette façon de contourner l’obstacle est une leçon de virtuosité pour un grand nombre d’artistes.

L’Algérie offre de nouveaux espaces de création, soumis à une lumière implacable. Ce pays s’offre comme un monde inédit que Marquet a su s’approprier.

Marquet capte une lumière pure, intense, dont l’éclat uniforme et sans couleur, emplit tout le ciel, une vision d’une âpreté brutale qui s’identifie parfaitement avec l’Algérie.

L’aventure dans le Sud algérien tente Marquet, Launois, Bouviolle, Famin, Deval et bien d’autres. Souvent à la recherche d’une « certaine antiquité, du côté biblique » d’éternité qu’offre la nature d’une vision des choses immuable, de gestes permanents, ils partent ensemble avec enthousiasme. L’étrangeté des costumes, l’aspect insolite des mœurs et des rites sociaux les surprennent. La découverte de paysages totalement inconnus achève de mobiliser l’enthousiasme.

Marquet avec eux part peindre sur le motif, sans alibi, en oubliant définitivement le procédé ancien de sublimation de l’Orient par l’art.

L’indépendance morale du maître, son respect de la tradition, sa poursuite d’un idéal les séduit.

Loin des formules intellectuelles, Marquet les impressionne par cette pratique du vrai langage de la peinture.

« Pendant cinquante ans, Albert Marquet a tenu la gageure de ne pas créer de divorce entre l’art contemporain et le public » nous dit Georges Besson.

Si l’épopée héroïque vécue dans le Sud algérien, conduit tous ces artistes aux mêmes lieux primitifs dans la traversée du désert, ils se retrouvent également en métropole. Ils participent aux mêmes expositions à Paris au salon d’Automne, au salon des Tuileries et aux Artistes Français aux salons de l’Afrique française et de l’association française d’expansion et d’échanges artistiques. Ils se connaissent et ripaillent ensemble notamment aux soirées de galas données par la Société des peintres orientalistes Français, organisées par Léonce Bénédite, conservateur du Musée du Luxembourg, le musée d’art moderne de l’époque. Ils s’apprécient et s’achètent. Louis Bernard possède ainsi outre des œuvres de Marquet celles de Dabat, Asselin, Luce et Laprade.

À l’occasion de ces manifestations le même souci de sincérité et d’exactitude domine dans les œuvres présentées où les tendances de l’École d’Alger reflètent celles de l’École de Paris. Le talent de Marquet, sa vision dépouillée, les perspectives audacieuses de ses œuvres frappent le regard de tous.

Si Marquet dans ses manifestations a imposé sa vision avec autorité « Il ne souhaitait que de passer inaperçu », nous dit Georges Besson Il fuit les mondanités, les honneurs et les interviews.

« Je ne suis ni orateur, ni écrivain, je n‘ai à ma disposition qu’une façon de m’exprimer, mes dessins, ma peinture ». Il reste pourtant très disponible et ne communique qu’à travers son œuvre. Marcelle Marquet constate : « Jamais homme ne s’est accordé moins d’importance et n’a eu plus vif souci de qui vivait dans son rayonnement ».

Avec lui Matisse et Dufy n’ont pas craint d’abolir les couleurs parce que la dévorante lumière africaine les dissolvait, quand, conservant les ombres, elle brûlait toutes les valeurs. De cette vérité première toute une splendeur incolore faite de vibrations intenses et ténues à la fois, naissait. 
Depuis, la leçon a été comprise par les artistes d’Algérie, qui refusant la facilité reconsidère le problème.

Marquet fidèle en amitié a aidé certains artistes. Il achète à Jean Launois le Portrait de Georges Besson, L’Étal de Boucher, Les Musiciens arabes, Le Café maure.

L’artiste durant vingt-cinq ans séjourne en Algérie, l’hiver ou le printemps. Était-il vraiment attaché à ce pays ? Marcelle Marquet répond : « Marquet aimait le ciel indécis, les brumes qui traînaient. Regrettait-il dans ce mouvement qui lui apportait des problèmes ardus à résoudre la facilité dont il profitait à Alger ? Il reconnaissait qu’il lui devait de pouvoir travailler en plein air l’hiver mais il se réjouissait aussi que la ville puisse certains matins se dérober au soleil. »

Le musée national des Beaux-Arts d’Alger conserve quatre toiles de Marquet datées de 1927,1929 et 1934, elles faisaient partie de la section d’art moderne avec les œuvres de Maurice Denis, Jules Flandrin, Henry de Waroquier, Henri Matisse et Auguste Rodin.

Jean Alazard, directeur du musée rend hommage au Maître en 1949 au musée national des Beaux-Arts d’Alger, il s’accorde à dire que la technique de Marquet séduit un grand nombre de jeunes artistes en Algérie et que sans lui on ne peut définir une École d’Alger. Il y avait contribué généreusement[9].

Jusqu’en 1946, à la veille de sa mort, Albert Marquet reviendra en Algérie.

« Il aura laissé en Algérie l’influence la plus profonde, sinon la plus visible. »[10].

E. C.

Albert MARQUET, Alger, le port, temps calme, collection particulière


[1] Archives du musée Mainssieux à Voiron

[2] Jean Daleveze, « El-Bahari, oasis des arts », L’œil, mai 1977, p. 12-18.

[3] Marcelle Marquet, Marquet, Voyages, Lausanne, 1961

[4] Beaux-Arts, novembre 1930, p. 22, « L’Algérie vu par les peintres d’aujourd’hui », Institut Français de Prague.

[5] Beaux-Arts, 26 juillet 1935.

[6] Beaux-Arts, 14 avril 1939.

[7] Jean Brune, 1952-1953, Le Magazine de l’Afrique du Nord Illustrée : « À propos de l’apport de l’Afrique du Nord dans l’art français »

[8] Albert Camus, L’Envers et l’Endroit, édition E. Charlot, 1977.

[9] Jean Alazard, « Les Beaux-Arts », in Les Arts et la technique moderne : Algérie, 1937, Alger, Imprimerie Fontana, 1937

[10] Pierre Angel : « L’École nord-africaine dans l’art français contemporain », Paris 1931.